En 1937, Henri Schultz rendit visite à Silum, une communauté dans les Alpes de Liechtenstein. Cette petite communauté, commencée en Allemagne en 1920, luttait acharnement pour sa survie face à la persécution Nazie. Leur communauté au Rhön, près de Fulda en Allemagne, fut fermée en 1937 et tous les membres étaient expulsés du pays. Peu après la visite de Shultz, la communauté fut fermée aussi et les membres de toutes les communautés se réunirent en Angleterre, au Cotswolds en Angleterre.

Silum n'est pas un de ces groupes au particularisme étrange, si nombreux dans l’histoire des sectes chrétiennes, jaillis de l’attachement souvent fanatique à tel ou tel point de la doctrine chrétienne, résultant en général du littéralisme biblique. Le groupe, dont l’origine remonte aux premiers temps de la Réforme, donc au début du XVIe siècle, se rattache, comme un anneau dans une longue chaîne, à tous ces groupes de minorités qui, au travers des âges, ont tenté de revenir au christianisme primitif, à un christianisme radical, libéré du joug des puissances politiques or cléricales.

Ils se rangent parmi ceux qui militent par leur vie, leurs actes, beaucoup plus que par leurs paroles, en faveur de la personne humaine, des droits imprescriptibles de la conscience individuelle, du caractère universel et spirituel de la religion prêchée et vécue par Jésus, religion destinée à être interprétée, dès ici-bas, dans la vie de tous les jours.Avec ces frères, nous nous trouvons au sein de l’histoire dramatique de la conscience qui s’élève contre toutes les tyrannies pour se soumettre aux seules lois de l’Esprit et de l’Amour, telles qu’elles nous ont été données par les grands Inspirés et en particulier par le héros de l’Evangile et ses disciples, telles aussi que nous pouvons les découvrir dans le sanctuaire du moi intime.

Pour comprendre Eberhard Arnold, le fondateur du groupe allemand actuel des frères, il faut nous reporter à la période d’après-guerre, en Allemagne. Les horreurs, les privations de la guerre et de la Révolution, avaient éveillé un besoin général de paix, de vie supérieure et libre. Parmi la jeunesse d’alors, se créa la « Jugend Bewegung », vaste et magnifique mouvement de retour aux joies de la nature, de la vie des champs, caractérisé par une aspiration marquée vers la vie simple et bonne, dans un esprit international.

Il est difficile d’évoquer les débuts du mouvement en Allemagne sans mettre en lumière la personnalité rare d’Eberhard Arnold, malheureusement décédé en 1934, consumé par son œuvre. Eberhard Arnold, esprit large et cultivé, abandonna son orientation première qui devait faire de lui un théologien pour se tourner tout entier vers le christianisme simple et radical. Il a milité en faveur du christianisme primitif par la parole et par de nombreux écrits, principalement dans le milieu des étudiants. C’est en 1920, dans l’atmosphère de la « Jugend Bewegung », dont nous parlions tout à l’heure, que Eberhard Arnold se sentit appelé à entrer dans la voie des réalisations pratiques, par l’obéissance personnelle et immédiate. Avec sa femme, personnalité remarquable, ses quatre enfants et quelques amis, il quitta son bel appartement de Berlin pour s’installer, loin des villes, en Saxe, et y vivre une vie radicalement orientée vers l’idéal évangélique, pénétrée de l’Esprit des Béatitudes. Les principales caractéristiques de cette vie était le retour à la terre, la mise en commun des biens et des forces, la discipline de l’esprit d’amour et de paix librement acceptée jusqu’en ces dernières conséquences. Le travail manuel était remis en honneur et la petite communauté ouvrait ses portes à tous. Jamais, même par temps de disette, on ne refusait l’hospitalité. Jamais il ne fut question de prix de pension, etc.… La communauté naissante grandit assez rapidement et on se transféra au Neuhof, près de Fulda, dans un assez grand domaine, qui devait être, dans son ensemble aussi bien que dans chacun de ses détails, une illustration vivante du fait que la vie en commun, telle que l’Eglise primitive et beaucoup d’autres l’ont pratiquée, était encore possible de nos jours.Effectivement, l’expérience a été faite, la communauté s’est développée, elle s’est maintenue et agrandie, malgré les difficultés et les épreuves de toutes sortes.

J’insiste bien sur ce point qu’il ne s’agit pas simplement d’une communauté de gens religieux, au sens où l’on entend ordinairement ce mot, mais bien d’une communauté d’hommes, de femmes et d’enfants s’efforçant de vivre ensemble, chaque jour, une existence conforme à l’esprit éternel de vérité, de justice, de liberté et d’amour, tel que nous le trouvons, par excellence, dans l’Evangile. Je précise que ces mots de vérité, de justice, de liberté, d’amour, ne sont pas ici, représentatifs d’une philosophie, d’une orientation, d’une religion plus ou moins verbale, mais bien de vie, de la vie de tous les jours.Autrement dit, c’est l’effort d’application des principes évangéliques à la vie commune, individuelle et sociale, sans préoccupation d’opportunisme ou d’actualité. La base d’où partent ces frères est essentiellement religieuse. La vie de ces frères et de tous les mouvements similaires, Doukhobors et autres, ne peut s’expliquer et surtout être vécue sans une base, un ressort spirituel de caractère nettement religieux.

Deux dangers principaux sont inhérents au groupement pour la vie en commun : l’un menace l’individu de dépersonnalisation, l’autre est constitué par la tendance à s’isoler du monde et à trop traiter les problèmes du seul point de vue intérieur. On vient à bout de ces dangers si l’on ne considère jamais la communauté comme une fin en soi, mais uniquement comme le moyen d’expression actif d’un ensemble d’individualités qui, dans la diversité de leurs dons, s’acheminent, volontairement, sur la voie royale de l’Amour, ayant pour but suprême le service de Dieu et du prochain, qui exclut fanatisme et étroitesse.

L’histoire de toutes les tentatives de vie communautaire prouve que jamais elles ne se sont maintenues sans cette base, très claire. Les frères à Silum croient au Dieu de l’Evangile, Jésus est leur inspirateur, leur Maître, et leur Seigneur. Ils s’opposent au littéralisme biblique, au culte de la lettre, au jonglage avec les versets des Saintes Ecritures, à la phraséologie religieuse. Ils reviennent sans cesse à la nécessité d’être dirigés par l’Esprit de Christ et surtout de lui obéir personnellement et inconditionnellement, sans réserve comme les chrétiens primitifs, ils croient que l’Evangile a été donné pour être vécu, dès ici-bas et non pour faire l’objet de discussions, d’interprétations, de spéculations théologiques. Ils aiment à revenir au Sermon sur la Montagne. Ils s’efforcent de vivre constamment dans l’attente du Royaume de Dieu, dont l’amour est le caractère permanent. Cette attente n’est pas passive, reléguant son accomplissement dans un monde futur, mais active, et pour eux il importe d’être dès ici-bas, des citoyens du monde de Dieu, participant au nouvel ordre de choses. Ils ont compris que Jésus est d’ores et déjà vainqueur pour ses vrais disciples, ceux qui font sa volonté. Jésus est vraiment leur seigneur et Maître et aucun domaine de l’existence ne doit échapper à son contrôle. L’économie qui les régit est celle de la foi et de l’amour, par opposition à l’économie dans laquelle nous vivons, bon gré, mal gré, et dont le caractère est tout autre que l’amour, bien que je croie qu’en dernière analyse l’amour est la recherche suprême de l’homme. Le christianisme est, il faut le constater, foncièrement révolutionnaire, révolutionnaire dans cet esprit dont parlait G. Clémenceau, lorsqu’il écrivait : « La révolution sera faite lorsque les chrétiens se mettront à vivre leur christianisme. »

Pentecôte n’est pas un événement excentrique, lointain et mystérieux. L’Esprit saint est, pour eux, une réalité vivante

Pour les frères, Pentecôte n’est pas un événement excentrique, lointain et mystérieux. L’Esprit saint est, pour eux, une réalité vivante sur laquelle on peut compter. Les puissances de l’Esprit sont encore aujourd’hui capables de renouveler le miracle de l’Eglise primitive où tous n’étaient qu’un cœur et qu’une âme, où l’amour était tel qu’il avait mis tout en commun.

Après ce que je viens de dire, vous ne vous étonnerez pas de savoir que ces frères sont résolument pacifistes et affirment dans leurs paroles et leur vie, d’une façon radicale, absolue, l’incompatibilité entre le service de Christ et la violence. Mais, il faut remarquer que leur attitude à l’égard de la guerre et de tout ce qui y touche n’est jamais un but en soi ; elle n’est qu’une conséquence de leur foi, de leur attente pratique du Royaume de Dieu, auquel ils entendent appartenir dès ici-bas. Dans ces conditions, il ne saurait donc être question pour eux de recourir à ce qui, de près ou de loin, touche à la violence. Là-dessus leur témoignage et leur ligne de conduite sont d’une limpidité parfaite.

Leur foi, ainsi que leur pacifisme, les conduit à la mise en commun des biens. Je ferai remarquer encore que la vie chrétienne commune de ces frères n’est pas avant tout une question d’utilitarisme mais bien le résultat de l’obéissance à un impératif d’ordre religieux. Cette vie n’a pas, à leurs yeux, une vertu spéciale en soi, il est surtout un fruit de l’amour. Ils répudient le système de la propriété individuelle qu’ils considèrent, comme l’un des fruits les plus marqués d’égoïsme, de concurrence sans pitié, de lutte impitoyable, d’asservissement et d’exploitation, de l’ordre actuel des choses. Leur volonté de vivre, le plus possible, la vie d’amour prêchée par Jésus les a amenés et les maintient dans la communauté de biens chrétienne intégrale comme dans le mode d’existence le plus conforme à l’esprit d’amour et en rapport avec l’ordre du Maître : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

A la lueur des événements actuels l’on peut se rendre compte à quel point les frères ont raison de lier intimement le problème social, économique et la paix.

Tout nous prouve combien ces différents facteurs sont interdépendants. La volonté de paix et de justice sociale entraîne, nécessairement, si elle veut être conséquente, le changement radical de la structure sociale. Mais j’ajoute que tout nous prouve aussi que toutes les tentatives dans ce domaine vont à l’échec si la révolution et la régénération de l’individu ne sont pas à la base de toutes ces réformes.

Nous sommes devant l’inéluctable nécessité de reconnaître que la réforme et le perfectionnement moral et religieux de l’individu sont, en définitive, ses seules voies de salut. Il semble long et pénible d’être contraint d’en passer par là, mais tout le reste est piétinement sur place.Toutefois, les forces individuelles éparpillées risquent fort de se perdre et la réunion, par petits groupes, des individualités non conformistes, se révèle comme un moyen puissant de maintenir la fidélité et le rayonnement malgré toutes les oppositions.

Chez les frères, les individus prennent leur véritable valeur dans la communauté d’où le cléricalisme est banni. La direction de la communauté appartient aux frères eux-mêmes. Un des leurs, nommé « Serviteur de la Parole » s’occupe spécialement de certaines questions d’organisation, de direction, mais sous le contrôle permanent de tous.

La communauté présente un caractère marqué d’universalité. Dans le groupe du Liechtenstein, j’ai rencontré principalement des Allemand, des Suisses, des Anglais, des Suédois, des Lithuaniens, des Hollandais, un Egyptien, des Roumains. Ces éléments proviennent de toutes les classes et représente une gamme complète de cultures différentes. Actuellement, ces frères, établis en Angleterre sont au nombre de 144 sans compter les amis et hôtes de passage.

Il est ainsi prouvé pratiquement, qu’il est possible de substituer, au mode d’existence courante, basé sur la rivalité et la lutte impitoyable, un genre d’existence basé, au contraire, sur l’amour.

Il faut reconnaître que par ce genre de vie, une foule de problèmes se trouvent résolus presque automatiquement...

Il faut reconnaître que par ce genre de vie, une foule de problèmes se trouvent résolus presque automatiquement: le chômage aussi bien que l’excès de travail sont éliminés par le partage entre tous. Le travail manuel, l’artisanat s’allient heureusement au machinisme qui n’est pas accaparé par certains au détriment des autres. Un équilibre harmonieux s’établit entre l’agriculture et l’industrie artisanale. Les orphelins et les veuves ne sont pas abandonnés à un sort précaire. 

L’enfant évolue dans un milieu très naturel. La domesticité est supprimée. L’exploitation est éliminée. Des relations simples et franches s’établissent dans le contact journalier, qui rend l’hypocrisie impossible à la longue. Les caractères sont mis à nu. J’ai vu chez ces frères, entre les jeunes gens et les jeunes filles, une très grande simplicité de relations, alliée à une réserve très digne et toute naturelle. La franchise, pour ainsi dire obligatoire, déjoue naturellement les calculs troubles. Beaucoup de naturel, pas de pruderie. Ces frères sont des monogames stricts, la famille est maintenue intégralement, car chaque soir parents et enfants se retrouvent. Le petit déjeuner et le goûter sont pris dans le milieu familial. Ainsi l’intimité autour de la table n’est pas abolie. Durant la journée, les enfants sont, suivant les âges, à la pouponnière, à l’école maternelle, ou en classe. Les mères sont ainsi partiellement déchargées du soin des enfants, et peuvent se consacrer aux travaux de la communauté. A table, le soir, lors des rencontres, on chante beaucoup, des chants tantôt joyeux, tantôt graves. Une très grande simplicité se distingue partout, dans la nourriture comme dans l’ameublement ou le vêtement, lequel est à peu près uniforme. Rien d’une religiosité morose ; au contraire il règne souvent parme eux une grande et saine joie: les jeunes exécutent avec entrain des danses populaires.

Quant à l’argent, il n’en circule pas parmi les membres, la communauté pourvoit au besoin de chacun, selon les possibilités, mais toujours dans un esprit de grande simplicité, même de pauvreté.

Les cultes, où une grande place est réservée au silence, ont une haute tenue spirituelle. Ils occupent une grande place dans la vie de la communauté, où, finalement, tout procède des forces religieuses. J’ai connu là des moments inoubliables. Le culte ne tranche guère sur le reste de l’existence, il n’en est que le point culminant, puisque toute la vie est empreinte d’adoration et d’amour, ce qui n’empêche nullement la jovialité et un très grand naturel. Je vous disais déjà que l’habitude de tenir « la porte ouverte » est une des caractéristiques marquantes des frères. Ils exercent en effet, une très grande hospitalité. N’importe qui est reçu cordialement n’importe quand.

A côté des multiples occupations de l’élevage, de la culture, du jardinage, les frères s’occupent de nombreux travaux d’artisan : boulangerie, menuiserie, serrurerie, forge, etc.… etc.… spécialement de tournage artistique sur bois. Ils possèdent aussi un service de librairie, comprenant des ateliers d’imprimerie et de reliure. Ils se sont attachés à éditer surtout des œuvres concernant le christianisme primitif et la mystique chrétienne. Dans leur collection on trouve les noms de Saint-François d’Assise, Jacob Böhme, le grand mystique Allemand, Novalis, Jean de Staupitz, Dostoïevski, Pestalozzi et Blumhardt. (...)Au début tout alla bien : l’œuvre des frères avait un grand rayonnement, le nombre des visiteurs était considérable, et l’intérêt pour les frères très grand. Tout alla bien… jusqu’à l’arrivée des hitlériens au pouvoir. Presque du jour au lendemain, il fut interdit aux frères de faire œuvre sociale, de vendre leurs livres par colportage et ordre leur fut donné de fermer leurs écoles, en raison de leur refus d’accepter le programme hitlérien d’enseignement. Force fut aux frères de chercher un autre refuge. La Suisse refusa de les recevoir, sinon temporairement, et c’est au Liechtenstein, entre Suisse et Autriche, que Eberhard Arnold trouva dans un site admirable, mais à 1550 mètres d’altitude, un hôtel inexploité. Il y avait bien, à proximité immédiate, dans la vallée du Rhin, un couvent inoccupé, mais l’évêque de Coire s’opposa à l’installation des frères.

Rien d’une religiosité morose ; au contraire il règne souvent parme eux une grande et saine joie...

Il est facile d’imaginer toutes les difficultés soulevées par la vie d’un groupe de 80 personnes vivant à 1550 mètres et devant assurer leur existence dans un pays étranger. Malgré tout, les frères tinrent bon et pour beaucoup ils ont été véritablement comme la lumière sur la montagne. C’est là qu’il m’a été donné de vivre des heures ineffables et de voir le nouvel ordre de choses obtenu par l’obéissance radicale à l’Evangile. (...)Actuellement, le groupe de Eberhard Arnold, a dû se réfugier en totalité en Angleterre. Silum, au Liechtenstein, vient d’être abandonné, pour des raisons surtout économique. Quant à celui d’Allemagne, qui était pour les frères un joyau précieux, un patrimoine sacré, où ils ont dépensé une somme inouïe d’efforts, le gouvernement, plus exactement, la Police secrète s’en est simplement emparé, l’an dernier, sous le prétexte que le mouvement des frères présentait un caractère international et qu’il était, de ce fait, indésirable.

Les frères furent expulsés de leur domaine dans l’espace de vingt-quatre heures après avoir été menacés du camp de concentration ; tous les biens et provisions furent confisqués. Trois des membres estimés responsables furent emprisonnés pendant plusieurs semaines. Et ce fut, une fois de plus, le dépouillement, l’exil, mais rien ne put faire faiblir ces consciences dans la fidélité à la vocation reçue. Il est vraiment à souhaiter qu’ils puissent, grâce à la libéralité de l’Angleterre, connaître un peu de répit et établir les bases indispensables à un minimum de vie matérielle. Je dois dire, pour être fidèle à la vérité, que les quakers anglais ne se sont jamais désintéressés des frères. C’est du côté quaker que leur est venue l’aide principale, dont ils ont eu absolument besoin aux heures critiques des persécutions depuis l’avènement de la dictature en Allemagne.

Il est très réconfortant de voir ici et là des groupes, hélas trop rares, qui demeurent irréductibles et ne se laissent pas emporter par les courants du siècle.

L’exemple de ces frères et de toutes les minorités fidèles est là et constitue un appel singulièrement saisissant au milieu des abandons qui se produisent de toutes parts. Dans cette ligne de pensée, j’emprunte le passage suivant de Le Christianisme mis en pratique (1), livre où sont consignées les principales résolutions prises par les Assemblées quakers au cours des âges :

« En présence de la vie, cherchons à libérer des choses matérielles et préoccupons-nous d’accorder la première place aux choses de l’esprit. La première raison d’être de l’Eglise, c’est de réaliser sur la terre le Royaume Céleste en vue duquel Jésus-Christ vécut et mourut. Tous, consacrons-nous à la tâche de créer un nouvel esprit dans les relations humaines et un nouvel ordre social, plus conforme à l’esprit du Christ et nous comprendrons combien la possession de la richesse et de la puissance qui en découle peut émousser le sens de la justice sociale et mettre obstacle à toute œuvre spirituelle. Nous en arriverons alors à juger superflu ce que nous regardions peut-être auparavant comme nécessaire. Alors nous serons prêts à examiner sans préjugés de nouveaux programmes de relations sociales meilleures. Croyons que la reconstruction de l’ordre social est possible et cherchons sans trêve de nouvelles inspirations.« Faisons des expériences et prions pour que, de cette période de lutte et de transformation, puisse surgir un ordre social nouveau et meilleur. Montrons que nous sommes un communauté qui croit à la possibilité de réaliser pratiquement le Royaume de Dieu ».

Le Royaume de Dieu, c’est de lui, en effet, qu’il s’agit au-dessus de tout. Pour le fils de l’Esprit, le disciple de Jésus, le devoir premier, essentiel, primant tous les autres, est de tout subordonner au Royaume de Dieu, réalité de notre monde, de notre temps et non utopie future. Dans la vie, dans les actes beaucoup plus que dans les paroles, doivent s’inscrire, éclater même, ici et maintenant, les grands caractères du Royaume de Dieu.

Tout l’enseignement qui se dégage de l’orientation actuelle du monde n’est-il pas un appel puissant à la nécessité du retour au christianisme radical et simple, et de ce fait, forcément révolutionnaire. Que celui ou celle qui se sent appelé dans ce sens fasse du Royaume de Dieu sa préoccupation essentielle, permanente, sa prière constante et je suis persuadé que les voies de réalisation seront données. Le danger de nous résigner à l’état de choses actuel est permanent, constamment nous sommes sollicités de minimiser l’Evangile, d’émousser son caractère révolutionnaire, de nous perdre dans les abstractions et les théories.

Ne rabaissons pas les vérités éternelles aux misérables réalités de l’heure et ne cessons pas de vouloir élever la condition humaine à l’idéal évangélique.

Tout demeure possible dans la foi et l’amour.

Il ne s’agit pas d’évoluer nécessairement vers tel ou tel groupe, Silum ou autre, mais de rechercher, en tant qu’individu et en tant que groupe, les voies de réalisation conformes à l’Esprit et répondant aux besoins actuels de notre humanité. Les réalisations seront, je crois, nécessairement révolutionnaires, dans la non-violence, bien entendu. Aux grands maux, les grands remèdes. Et redisons nous bien que rien n’est fait si l’on ne paye de sa personne si l’on ne demeure dans une fidélité intransigeante aux lumières reçues, si l’on ne conçoit pas l’obéissance personnelle et immédiate, dans l’amour, jusqu’au sacrifice obstiné ; Oui, montrons que nous sommes une communauté qui croit à la possibilité de réaliser pratiquement le Royaume de Dieu.


Cet article est rédigé du Cahier de la réconciliation, juin 1938. Pour l'histoire intégrale de l'origine des communautés fondées par Eberhard Arnold, téléchargez le livre électronique gratuit Un pèlerinage joyeux, par Emmy Arnold.