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CheckoutChristoph Friedrich Blumhardt, écrit ces 123 lettres d'encouragement à son beau-fils en Chine.
Jésus est vivant » : c’est l’axe de toute la « théologie du monde » de Christoph Blumhardt. Et « il vient », telle est la seconde affirmation qui le conduit à envisager toute chose dans la dynamique d’une eschatologie imminente. On retrouve ici le climat de l’église primitive : ce qui compte ce n’est pas le passé du christianisme, mais son actualité et son avenir — qui n’est d’ailleurs pas celui d’un triomphe religieux, mais du Christ venant mettre le point final à l’histoire de ce monde. D’où une étonnante prise au sérieux de l’aujourd’hui de Dieu et de l’histoire des hommes, comme nous allons le voir en revenant aux étonnantes lettres à Richard Wilhelm, restées inédites jusqu’en 1958.
Au moment où Richard Wilhelm s’apprête à partir pour la Chine, C. Blumhardt a tiré, avec une solide logique, les conséquences de sa théologie de l’imminence eschatologique et de l’actuelle et cosmique royauté du Christ : persuadé que l’église des mots et de l’impuissance trahit l’Evangile, il la met radicalement en question. Convaincu que l’institution religieuse retient l’Evangile captif, il a commencé, vers 1890, à se tourner vers les masses, non chrétiennes, du prolétariat et à chercher au sein même de ce qui, traditionnellement, est considéré comme opposé à l’Evangile, les traces de l’action efficace du Christ. L’essence de la religion lui paraît être d’offrir aux hommes des sécurités et des alibis : Jésus- Christ ne peut devenir un tremplin pour toutes les évasions hors de l’histoire ; il est au contraire celui qui mène l’histoire et, secrètement, la laboure profondément.
A l’aube du XXe siècle, Christoph Blumhardt manifeste que l’esprit de prophétie, loin d’être éteint, agit encore avec une immédiateté étonnante, là où des hommes ne se ferment pas, dès l’abord, à lui. Qu’une théologie, une liturgie, un entretien soient ouverts, réceptifs et disponibles à l’événement, et le voici qui a lieu. Blumhardt a vécu toute son existence, par ailleurs conforme à bien des catégories bourgeoises et modérées de son temps et de son milieu, dans une exceptionnelle proximité de la Parole et du monde, du monde et de la Parole. Non constamment préoccupé d’ecclésiologie, non empêtré dans les conventions et les règlements religieux (« les églises, a-t-il dit, ne sont que des ceintures de feuilles dont l’humanité s’affuble pour n’être pas sans vêtements devant Dieu »1), il suit à la trace le Christ dans le monde, déchiffre l’histoire et y lit le joyeux évangile du renouveau de toute chose.
Visionnaire autant que Teilhard de Chardin, mais plus authentiquement christologique ; réaliste autant que Bonhoeffer, mais sans la pointe de mélancolie qui, de façon bien compréhensible, marque les écrits du prisonnier de Tegel ; autant que Barth et Niemöller, théologien d’une église confessante qu’il ne verra pas se réaliser, il est d’une actualité tonique, salutaire pour notre époque en perte d’identité chrétienne et humaine. Retrouver celle-ci n’est pas se replier sur des positions perdues à l’avance ; ce n’est pas avoir le souci de l’avenir ecclésial mais des nécessaires révolutions et de l’avènement du Christ : « Les églises meurent, mais l’humanité tressaille, prête à s’élancer vers la vie. Christ va venir. Il est dans l’air, je le sens. Il vient. » Parce qu’il vit dans le réalisme eschatologique et déchiffre la transformation du monde, il dénonce l’immobilisme individualiste et l’opacité institutionnelle et annonce le dépérissement des obstacles ecclésiastiques et des écrans cléricaux qui retiennent les hommes loin de l’Evangile : ainsi débouche-t-il sur le joyeux « mystère de la mort de l’église », celui qui est la contrepartie de la résurrection de l’humanité récapitulée et libérée et de sa manifestation dans quantité de signes historiques, en quoi l’espérance du Christ salue la présence actuelle et active du Royaume.
Les tensions que cela implique ne sont ni évitables ni confortables : elles sont, avec le risque permanent de l’erreur, le pain quotidien de ceux pour qui la vie de la foi consiste à assumer toutes les dimensions de la cohumanité. Chacun à sa façon, Christoph Blumhardt et Richard Wilhelm ont choisi le risque-limite de l’insignifiance et de la perte d’identité plutôt que d’accepter, au nom d’une fallacieuse spécificité chrétienne, la moindre distance par rapport au monde.
Il résume son attitude spirituelle en disant : « Dieu sur la terre » et : « Sur la terre, Dieu. » Et il ajoute : « Regardez vers l’avenir et vivez dans le présent, c’est cela qui est correct. » L’attente du Royaume, pour lui, c’est l’aujourd’hui des hommes vécu dans l’activité responsable et l’espérance lucide. Etre chrétien, c’est, comme l’écrit Vincent Van Gogh à son frère Théo, être « attaché à la terre par des liens bien plus que terrestres ».
peine est-il besoin de souligner la modernité de cette démarche...
Georges Casalis, de l'Introduction