Nombreuses personnes venaient chercher auprès de Jean-Christophe Blumhardt, pasteur de Möttlingen, la paix dont elles avaient besoin.
Les consciences, écrit Blumhardt, demandent à être déchargées. Je suis assailli de toutes parts. Que je serais heureux de pouvoir dire aux âmes angoissées : « Allez a votre pasteur ! » Ces gens me font pitié, car je ne puis rien faire. Je dois me contenter de leur parler du haut de la chaire. Il me semble que ce qui se passe ici devrait ouvrir les yeux de mes frères et leur montrer que, s'ils voulaient en faire l'essai, ils pourraient réussir comme moi, et admettre à la confession ceux des membres de leur troupeau qui en exprimeraient le désir.
On s'étonne beaucoup, dit-il ailleurs, de ce que je reste seul et de ce que mes collègues ne m'imitent pas, dans une affaire aussi importante. Le Seigneur sait combien je le voudrais. Je n'adresse de reproche à personne, mais je désirais m'ouvrir a toi, là-dessus.
Blumhardt ne peut s'empêcher, en effet, de formuler le désir que ses amis s'associent à lui. Mais ce vœu ne s'accomplit pas. Peu à peu, tous se séparent de lui et se tiennent à l'écart, si bien que le réveil eut tout l'air d'être une affaire purement locale, une particularité due à la personne même de Blumhardt, un effet des doctrines spéciales du pasteur de Möttlingen.
Ce fut pour lui un chagrin profond. Là où il voyait une manifestation puissante de l'Esprit de Dieu dans l'église, ses collègues ne voulaient voir qu'une hérésie condamnable. On l'accusait d'abandonner le terrain évangélique, pour se rapprocher du catholicisme. Blumhardt protestait contre cette imputation, déclarant bien haut qu'il restait fermement attaché à la doctrine réformée.
Quels ont été mes principes dirigeants ? écrit-il à ce sujet. Aucuns, sinon ceux que j'ai connus dès mon enfance et que j'ai puisés dans l'Ecriture sainte, selon la règle des réformateurs. Peut-être ai-je apporté à l'exposition de ces faits plus de chaleur, plus d'énergie, plus de clarté, que n'ont fait les autres. Toutes mes prédications ont été le miroir fidèle de la doctrine protestante, et je n'ai touché les âmes qu'en maintenant intacts ces enseignements et en les proclamant, avec toute la force que donne l'Esprit de Dieu. La repentance et la foi au Christ crucifié, voilà, pour moi, le centre autour duquel tout le reste se meut. Le but que je cherchais à atteindre, c'était la conversion de mes auditeurs, et rien que cela. Je n'employais, pour y parvenir, que les moyens indiqués dans notre catéchisme. J'apportais toute mon ardeur à faire ressortir avec force ce que le croyant peut trouver auprès du Sauveur, quand il s'approche de Lui avec sincérité dans un esprit de repentance et de foi, savoir : le pardon des péchés, la paix, la communion avec Dieu, le salut par Christ, toutes choses qui sont les fruits de la foi. On le voit, j'ai marché sur les traces de Jean-Baptiste, qui préparait le chemin au Seigneur par la repentance et le pardon des péchés. J'ai marché sur les traces du Seigneur lui-même, qui ne cesse dans tous ses discours, de nous promettre l'exaucement de nos prières.
Toutefois, les protestations de Blumhardt n'avaient aucune valeur dans l'opinion de ses collègues, en présence des faits. La confession qu'il exigeait et l'absolution qu'il donnait ensuite, paraissaient aux pasteurs protestants des écarts aussi anti-évangéliques que dangereux. Pour parler comme le brave séparatiste dont il a été question au commencement de ce chapitre, Blumhardt était, aux yeux de ses frères, un catholique sous la robe d'un protestant. Comment, des lors, eussent-ils pu transiger en matière de doctrine, et prêter les mains à ce qu'ils envisageaient comme des erreurs fatales ?
De quelle manière Blumhardt justifiait-il cette confession et cette absolution, qu'il s'était mis en devoir d'introduire chez lui ?
Il faut rappeler que ces pratiques, auxquelles était d'abord plutôt opposé, il ne les a adoptées que peu à peu, ensuite des circonstances exceptionnelles qu'il eut à traverser. Ce n'est qu'à la demande expresse, et plusieurs fois réitérée, de ce pécheur angoissé, qui se rendit au presbytère le jour de l'an 1844, que le pasteur donne l'absolution pour la première fois. La même demande lui ayant été expressément adressée par d'autres pécheurs repentants, il se laisse aller à répéter ce qu'il avait déjà fait auparavant. L'effet produit par cette cérémonie était toujours si saisissant, que Blumhardt crut de son devoir de ne pas refuser l'absolution à ceux qui la lui demanderaient.
« Ceux à qui j'imposais les mains, dit-il quelque part, se sentaient remplis d'une force salutaire, qui produisait souvent en eux – à mon insu – des guérisons corporelles, et qui, tout au moins, changeait et rajeunissait leur être. »
Les bienfaits de l'absolution étaient trop visibles, pour que Blumhardt n'en fût pas profondément frappé. Les gens se relevaient pleins d'assurance, de paix ; leur visage rayonnait de joie. Un jour, un robuste paysan de Möttlingen arrive chez le pasteur, et fait, comme les autres, l'entière confession des péchés dont le fardeau l'accable. Blumhardt lui impose les mains, et lui accorde, de la part de Dieu le pardon de ses fautes. Cet homme en fut si inondé de joie, qu'en se relevant, il ne put s'empêcher de serrer dans ses bras le pasteur, et de lui donner un baiser.
Il y avait, paraît-il, chez ceux auxquels le pardon était ainsi accordé, une telle impression de délivrance et de soulagement, qu'ils se sentaient transformés. Des hommes adonnés au vice renonçaient à leur mauvaise voie. Des ivrognes confirmés déclaraient n'avoir plus soif. Et, tandis que la vue des auberges les attirait jadis comme par une force magique, elle ne leur inspirait plus maintenant que répugnance et dégoût.
Ce sont des expériences semblables – expériences qui se renouvellent chaque jour, en grand nombre, – qui convertirent Blumhardt et l'amenèrent à considérer l'absolution comme réellement utile aux hommes et conforme à l'Evangile. Plus il avançait dans ce chemin, et plus il trouvait des motifs nouveaux de se persuader de la vérité de son point de vue. Ces paroles du Seigneur : « Ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel » (Mattheu 18.18), et celles de Jean 20. 23 : « A celui à qui vous pardonnerez les péchés, ils seront pardonnés », – établissaient, à ses yeux, le pouvoir dévolu au pasteur par le chef de l'Eglise, de pardonner les péchés. Les expériences faites par lui, pendant la maladie de Gottliebin Dittus, ne contribuèrent pas peu à le confirmer dans ces dispositions. En voyant l'effet souvent immédiat de ses prières sur la malade, il se convainquait de la valeur intrinsèque de la prière et aussi de l'efficace de la médiation du pasteur comme prêtre.
Blumhardt s'est expliqué, fort au long, sur cette manière de faire, qui lui valut l'accusation de catholicisme. Voici, en résumé, ce qu'il dit :
L'effet produit par l'absolution était si réel, que les gens s'en trouvaient changés, sans qu'il y eût, cependant, chez eux, la moindre trace de fanatisme. C'est à cela qu'il faut attribuer le succès qu'obtint cette pratique. Quant à moi, je n'avais d'autre intention que de rester d'accord avec la doctrine de l'église protestante, telle qu'elle existe dans nos confessions de foi. Mais les expériences que j'ai faites, au sujet de l'absolution, m'ont appris bien des choses. J'ai dit déjà que cette pratique, non seulement apaisait les esprits, mais aussi guérissait les maladies ... J'y aurais bien volontiers renoncé, mais c'eût été, de ma part, timidité et lâcheté, d'autant plus que j'en étais arrivé à voir dans l'absolution une force véritable. Je ne me croyais donc pas autorisé à la refuser aux âmes qui m'étaient confiées.
Il m'arriva, pendant l'été, d'être appelé auprès d'un collègue mourant. Il voulut se confesser à moi, et me demanda ensuite l'absolution. Je ne pus la lui refuser. C'est alors que je compris le sérieux terrible du pouvoir qui nous a été accordé par le Seigneur, et d'après lequel ce qui est délié sur la terre est délié dans le ciel.
On demande des preuves bibliques de cette autorité du pasteur. Quoi de plus clair que le passage Jean 20.21-23 : « Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie. » Et quand Il eut dit cela, Il souffla sur eux, et leur dit : « Recevez le Saint-Esprit. Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés. »
Que signifie ce souffle du Seigneur, sinon qu'il communique une consécration, pour l'œuvre qu'Il confie aux siens ? Qu'est cet Esprit-Saint, sinon une force, donnée de Dieu, qui permet au disciple d'accomplir ce qui lui est commandé ? Plus on y réfléchira, plus on se convaincra que cette force est communiquée, afin que le pénitent en reçoive l'assurance du pardon. En réalité c'est Dieu qui agit ici par le moyen de l'homme. De là, ces effets bienfaisants, sur le corps autant que sur l'âme.
Et puisque c'est là un don de Dieu, il ne faut pas le négliger, de peur que Dieu ne le retire. Notre église en sait le prix. N'enseigne-t-elle pas que la bénédiction, donnée à la confirmation, produit des effets par elle-même ? Ces effets sont dus non seulement aux paroles du pasteur, mais encore à l'acte de la bénédiction donnée aux catéchumènes.
Telles sont les idées de Blumhardt. Plus il avance, plus aussi elles lui apparaissent comme vraies.
Mais n'est-ce pas là du catholicisme, comme le prétendaient les pasteurs du Wurtemberg ? On n'en saurait douter. Blumhardt, en protestant de sa fidélité à l'église réformée, se faisait évidemment illusion à lui-même, et l'on ne peut refuser à ses adversaires d'avoir été sur ce point les véritables défenseurs de la doctrine protestante.
Au lieu de se défendre de l'accusation de catholicisme, Blumhardt eût mieux fait de poser la question sur son véritable terrain. Il aurait dû maintenir son point de vue et demander une étude nouvelle des doctrines de la confession et de l'absolution, en exposant les données que lui avaient fournies là-dessus ses expériences personnelles, sa connaissance des saintes Ecritures et surtout les événements extraordinaires dont il avait été témoin. La question eût été ainsi plus franchement posée, et Blumhardt aurait dit, sur ces deux sujets, des choses qui auraient pu être utiles à l'église, et qui eussent mérité, peut-être, plus d'attention qu'il ne pourrait le sembler au premier abord.
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