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CheckoutLe Sermon sur la Montagne nous fait découvrir le cœur de Jésus. Nous y trouvons l’essentiel de sa volonté. Une grande foule se réunit, ses disciples s’approchent de lui, il parle à toute la foule, il regarde ses disciples et s’adresse à eux. Tout cela introduit la grande décision qui s’impose dans le Sermon sur la Montagne.
Jésus garde toujours l’humanité entière à l’esprit, mais parmi ses auditeurs, il vise les disciples et ceux qui sont susceptibles de le devenir. Il sait que tous sont pauvres et vides, mais il apporte le bonheur et la richesse à ceux qui, conscients de leur pauvreté, s’ouvrent à ce qu’il veut leur offrir. Le Sermon sur la Montagne n’est pas une loi exigeant un effort moral ou un quelconque tour de force. Ce qu’il recherche, c’est le dénuement. Il présuppose le vide, l’extrême pauvreté, celle qui ne peut rien prouver et qui n’a rien à offrir. La pauvreté ne peut agir qu’à partir de ce que le Créateur souhaite faire, à partir de ce que le Rédempteur accomplit parmi les humains.
Dans l’évangile de Luc, il est dit seulement : « Heureux, vous qui êtes pauvres ! Heureux, vous qui avez faim et soif ! Heureux, vous qui pleurez ! Heureux serez vous, quand on vous persécutera ! » Il ne s’agit pas de délimiter un domaine religieux particulier de la vie, il s’agit de ce que seront les citoyens du Royaume : pauvres, affamés, assoiffés, souffrants, méprisés et persécutés.
Heureux, vous qui êtes pauvres !
C’est pourquoi Luc ne peut passer sous silence les paroles que Jésus adresse aussi aux autres : Malheur à vous les riches, malheur à vous, qui êtes rassasiés, malheur à vous qui riez. Malheur à vous, si on ne dit que du bien de vous ! Tout ce que l’on possède, ce qui donne du sens à la vie, ce qui est digne d’admiration, tout ce qui, en général, jouit d’une certaine reconnaissance, est source de « malheur », car la condition fondamentale du Royaume est le vide intérieur.
Dans l’évangile selon Matthieu, cette pauvreté est dévoilée dans toute sa profondeur : elle est pauvreté « en esprit », elle consiste dans le plus grand dénuement pour ce qui est de l’esprit, de la religion, de la morale et de la sagesse. Elle s’attriste de ce qui se passe dans le monde mais aussi en nous-mêmes. Elle s’attriste au sujet de chaque individu, mais aussi de l’état du monde, de la culpabilité individuelle et de la culpabilité collective, de la misère matérielle et de la misère de l’âme. Dans ce contexte, la persécution et le mépris qui en découlent nécessairement sont des souffrances « pour la justice », pour cette justice dénuée de tout moralisme que détestent au plus haut point ceux qui fondent leur justice sur leur respectabilité, leurs richesses, leur morale et leur religion.
En quoi consiste cette autre justice ? C’est là le thème du Sermon sur la Montagne. Il s’agit du bonheur dans la pauvreté. Il s’agit du mystère que représente un changement de mentalité, une transformation de fond en comble, celle qu’a prêchée Jean, le dernier prophète du judaïsme ancien. Celui-ci a proclamé le renouvellement de toutes choses annoncé par les prophètes. Selon lui, ce renouvellement devait advenir sur terre, « descendre » du ciel : Dieu lui-même allait s’approcher de manière décisive. Jean avait annoncé Dieu, justice pour tous les humains et pour toutes choses, joie de chacun, communion pour tous. Jésus s’est plongé dans cette justice à venir, qui est Dieu lui-même.
Tout le Sermon sur la Montagne nous montre les caractéristiques de cette justice nouvelle, prémices de l’avenir, promesse donnée par Dieu lui-même. Le Dieu bon est le Dieu créateur, le mystère dernier de la vie, la source de toute vie et de toute croissance. Cette justice n’a aucune substance si elle ne manifeste que de la bonté et des efforts humains. Elle n’est apparue parmi les humains que dans la personne du Fils de l’Homme, Jésus. Elle est présente aujourd’hui dans la personne du Ressuscité : Elle agit par son Esprit, puissance du Créateur et du Dieu de la résurrection.
Ainsi, le Sermon sur la Montagne nous révèle-t-il qui était Jésus, ce qu’est son Royaume et comment agit son Esprit. Il n’y a pas lieu ici de s’estimer bon ou supérieur, de se considérer dans son droit ou de résister aux autres. Ici, l’amour qui règne est force et joie, car ici, ne rien posséder c’est tout posséder !
Seuls ceux et celles qui éprouvent un profond respect devant le Créateur peuvent saisir le sens du Sermon sur la Montagne. Ceux et celles pour qui toutes les forces physiques et spirituelles à l’œuvre dans la nature sont un cadeau de Dieu et qui dépendent entièrement de lui. La création de Dieu n’est ni le fruit des efforts humains ni le théâtre de nos succès et de nos échecs. La nouvelle création de l’Esprit du Christ n’a rien à voir avec les efforts de volonté de certains individus ou de toute l’humanité. C’est pourquoi Jésus ne dit pas : il faut que vous soyez lumière, il faut que vous soyez sel, il vous faut devenir une cité ! Pour lui, la nouvelle création, comme la création, est un être, un devenir qui vient du Créateur lui-même : Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. Le sel est sel, sinon il vaut moins que du fumier, moins que des déchets. La lumière brûle, brille et chauffe. Si elle ne le fait pas, elle n’est pas « lumière ». La lumière joue son rôle en se consumant, tout comme le sel. Cette offrande généreuse et joyeuse de soi en vue de la tâche reçue de Dieu, c’est l’être-même de Jésus, l’essence de son Royaume.
Ici, l’amour qui règne est force et joie, car ici, ne rien posséder c’est tout posséder !
Seul un tel amour donne naissance à la communauté. Au Moyen Âge, la communauté urbaine était symbole de liberté, communauté de foi et travail. De même, la vie nouvelle reçue de Dieu se réalise dans l’unité librement consentie et dans le travail.
Impossible de fabriquer un arbre dans une usine. Impossible de fabriquer la vie commune. Comme la création de l’arbre et de son fruit, l’édification de la communauté dans l’esprit communautaire est une œuvre divine indépendante de toute action humaine. L’important, c’est la création. Tel arbre, tel fruit. La loi de la vie créée s’oppose aux facultés humaines comme dans l’épître aux Romains la loi de l’Esprit de vie est opposée à l’emprise mortelle du péché. L’industrie lourde laisse la place à la Création vivante.
Dieu réalise ce que l’être humain ne peut accomplir. Son Esprit créateur est le mystère de la loi de la vie ; car Dieu est Dieu de tout ce qui vit et non Dieu de ce qui est mort. La résurrection de Jésus est la révélation absolue de cette loi de la vie. Le Sermon sur la Montagne ne peut être compris que par ceux et celles qui se laissent pénétrer du respect pour le Créateur et pour la Création, et par l’esprit de la résurrection. Celle-ci atteste puissamment que Jésus est bien le Fils de Dieu - précisément par l'Esprit de sainteté qui est efficace dans de la résurrection. En dehors de cela, le Sermon sur la Montagne est une utopie irréalisable, une incitation au fanatisme, une illusion, voire même une folie.
Le grain est mort et il était dans la terre ; il a dû revenir à la vie pour pouvoir produire des fruits pour tous. La vie qui se répand à partir de là est un cadeau qui embrasse tout le vivant. Son seul ennemi mortel est la mort elle-même. C’est pourquoi, dans cette sphère, le meurtre n’existe plus, ni la haine envers ceux chez qui sommeille le même germe de vie reçu de Dieu. Les efforts humains et la fierté qu’on en tire n’ont plus de place ici. Ils ne sauraient être la vraie vie. La vie ne parvient à son accomplissement que grâce à l’amour libérateur car seul l’amour de Dieu, contrairement à l’amour humain, se donne à tout ce qui est vivant. Dieu seul possède cette vie parfaite et offre son soleil à tous : aux pécheurs et aux moralistes, aux justes et aux injustes, à ceux qui cherchent Dieu et à ceux qui blasphèment. Sa justice est toute autre que celle des donneurs de leçons et des théologiens qui croient nécessaire, toujours et partout, de fixer des frontières et des distinctions et qui insistent sur les murs et sur les portes fermées
Le cœur de Dieu, c’est son amour miséricordieux pour tous. Il veut la justice dans toutes les choses extérieures et la miséricorde de l’âme. Il est « le père de toute miséricorde ». L’évangéliste Luc décrit le comportement des citoyens du Royaume de manière simple et pratique : Aimez ! Soyez miséricordieux ! Ne gardez rien pour vous-mêmes ! Ne jugez pas ! Ne cherchez pas la faute chez les autres ! Donnez à tous ! Soyez bons pour vos ennemis !
Cette attitude signifie être ouvert à la réconciliation, renoncer à la résistance et supporter l’injustice. Elle demande énormément de temps, de force et d’engagement, surtout quand le don de soi suscite haine ou mépris. Elle trouve sa force dans l’élan positif, créateur et constructif de cet amour que la résistance ne peut que stimuler, encourager et inciter à l’action énergique.
Lorsqu’il rencontre opposition et hostilité, l’élan de la consécration en est fortifié. Le « prochain » et l’« ennemi » sont les seuls êtres avec lesquels une relation vivante peut exister. Il n’y a d’autre amour que pour le prochain et pour l’ennemi. Le témoignage de Jésus s’adresse à l’un comme à l’autre avec la même force. Pour Jésus, l’amour du prochain, qu’il identifie à l’amour de Dieu, est inséparable de l’amour inconditionnel de l’ennemi.
Le Sermon sur la Montagne proclame cet amour qui trouve sa source en Dieu pour se déverser dans ces deux directions. Cet amour pour le prochain et pour l’ennemi doit se manifester dans la fidélité et dans la sincérité. Le lien du mariage, union féconde entre deux êtres, fondée simplement sur un « oui » ou un « non » offre un symbole concret de cette fidélité et de cette sincérité dans les joies et les luttes qui caractérisent les relations humaines.
Si on ose vivre dans cet esprit, c’est à l’infini qu’on est confronté en permanence ! On tremble parfois comme au bord de l’abîme, car on ne peut s’accrocher nulle part. Pourtant on inspire à pleins poumons la pureté et la force, car l’air insufflé par cet esprit est le souffle éternel de Dieu, c’est l’Esprit de Dieu lui-même. On risque cependant d’éclater, car nos poumons ne peuvent contenir l’infini. Nous sommes à la fois sous le coup du jugement et sous l’emprise de la grâce, pauvres et riches, morts et ressuscités : Ici, la perspective de toute construction humaine se soustrait au regard.
Dans ce contexte, les lois de la sympathie, de l’antipathie et des affinités sélectives disparaissent. Les questions économiques n’ont pas lieu d’être. On ne porte plus de jugement de valeur sur les personnes. Adieu au bruit et à ce qui frappe la vue. La vie en gestation est une vie cachée. C’est la vie elle-même qui lui donne toute sa valeur. La création vit et agit sans faire de bruit. La prière des humains est ce qu’il y a de plus caché et de plus pur dans une vie imprégnée de Dieu. Pensons à l'harmonie silencieuse des anges, aux étoiles, dans leur contemplation éternelle de Dieu. Le Père est attaché à la vie qui se déroule dans le secret. La montagne lointaine, le désert, la chambre close sont les lieux de la décision. La brièveté et la clarté marquent ces moments passés dans le secret. Car trop de mots produisent du brouhaha et de l’agitation. Le sens simple des mots est et demeure : la venue du Royaume de Dieu sur terre, la réalisation de sa volonté parmi les humains, la transformation par Dieu de toutes les relations, le pain quotidien pour tous, le pardon et le salut.
La brièveté et la clarté marquent ces moments passés dans le secret. Car trop de mots produisent du brouhaha et de l’agitation.
Le Sermon sur la Montagne se situe ici dans le contexte prophétique dans lequel Jésus a placé sa propre vie en reprenant les paroles de Jean-Baptiste : Changez de vie, le Royaume des Cieux s’est approché ! Il s’agit d’être préservé dans l’épreuve présageant la catastrophe révolutionnaire qui doit inévitablement ébranler la terre entière. Un comportement nouveau doit voir le jour en raison de la gravité de ce moment décisif : le choix de la pauvreté pour exprimer confiance et don de soi d’une manière évidente.
Peu importe en quoi consiste la richesse. La parole de Jésus est valable dans tous les domaines : N’amassez pas de possessions ! Attachez-vous au seul vrai trésor, celui qui est dans le ciel. Vous ne pouvez désirer qu’une seule chose : soit votre désir et votre cœur sont fixés sur les objets, soit les yeux de votre âme se tournent vers le Tout-Autre. Un cœur partagé signifie ici ténèbres et jugement. Vous ne pouvez servir en même temps Dieu et l’argent. La seule chose qui compte ici, c’est ce que le cœur désire. Par conséquent, les soucis concernant les choses et l’existence participent du même esprit que l’accumulation des richesses : celui de Mamon, l’ennemi de Dieu.
La vie donnée par Dieu libère et des soucis et des possessions. La création offre en abondance nourriture et vêtement aux oiseaux et aux fleurs. Il en est de même de la nouvelle création, lorsque notre confiance en Dieu donne à son Royaume la toute première place, lorsque son Royaume est pour nous ce qu’il y a de plus important, le reste suit automatiquement. Plus personne ne peut prendre possession de nous si notre cœur se tourne vers le Royaume qui vient.
Une règle de vie fort simple et très utile se dégage automatiquement de cela : Ne vous surchargez jamais en vous projetant très loin dans le temps. Vivez au jour le jour. Si vous y parvenez, vous vivrez comme des enfants, comme des oiseaux ou comme des fleurs, pour qui un jour est comme une vie entière. Car chaque jour est riche de joies et d’espérances nouvelles.
Même si chaque jour apporte de nouvelles ombres et de nouveaux crépuscules, de nouveaux échecs par manquement ou par maladresse, même si notre incapacité à réaliser le Sermon sur la Montagne a été prouvée mille fois, un jour nouveau apporte un nouveau soleil, un air nouveau, une grâce renouvelée. Ainsi grandit la confiance en Dieu et envers les humains dans lesquels Dieu est à l’œuvre. Jésus encourage tous ceux qui l’écoutent à prier et à toujours renouveler leur foi. Il promet que celui qui demande recevra. La porte du jardin de Dieu est ouverte comme celle d’un grand jardin. Elle invite à y pénétrer. Cette porte est étroite mais elle est là pour tous. On ouvre à ceux qui frappent et qui souhaitent entrer.
Cette porte est étroite mais elle est là pour tous.
Luc dit très clairement quel est l’objet de cette demande, de cette foi, de cette attente, de cet engagement : l’Esprit ! Si vous qui êtes mauvais, donnez de la bonne nourriture à vos enfants, vous pouvez être sûrs que Dieu vous donnera ce dont vous avez besoin : l’Esprit saint. C’est cet Esprit qui rend possible tout ce que contient le Sermon sur la Montagne. Il a le caractère de l’agneau par opposition à celui du loup. La nouvelle création de Dieu, la nouvelle naissance qui transforme les loups en agneaux, qui change le règne des prédateurs humains en Royaume de paix divin est rendue possible par cette substance immatérielle.
Mais il faut être attentif au fait qu’on ne dupe personne par des gestes, des postures, de l’agitation, des simagrées. Jésus veut que nous soyons prudents et ne nous laissions jamais tromper par des paroles doucereuses sous lesquelles se dissimule la nature indomptable des fauves prêts à bondir : c’est à leur avidité qu’on les reconnait. Il faut faire preuve de discernement et ne pas donner ce qui est saint aux chiens et aux cochons, et ce, sans porter de jugement. Celui qui juge prononce une sentence qui met fin à la confiance. Il a une autre position que celui qui est jugé. Personne n’est en droit de s’arroger ce rôle, car Dieu seul juge dans l’intention de sauver. Les êtres humains que nous sommes sont tous au même niveau, à la même place.
Le Sermon sur la Montagne nous juge tous car il met en évidence les mauvais fruits que nous portons, ceux qui permettent de reconnaitre le mauvais arbre. L’intention la plus noble, la formulation de la vérité la plus correcte ne doivent en aucun cas être confondues avec ce qui caractérise la nouveauté de vie dont parle le Sermon sur la Montagne : le fruit de l’action, la pratique de la justice de Dieu, l’amour qui jaillit du cœur envers tous. Là où ces paroles de Jésus prennent vie et deviennent des actes, s’élève la solide construction de Dieu qui subsistera quand surviendra la catastrophe finale. Si elles ne sont pas mises en pratique, on ne peut voir venir rien d’autre que ce que les actions humaines engendrent : des tas de ruines.