Le sel est du sel ou il n’est rien. La nature du sel réside dans l’effet qu’il produit. C’est pourquoi le sel n’a pas de sens pour lui-même. Le sel est là pour le tout. L’être-même de ceux qui ont accueilli la vie de Dieu en eux-mêmes et ont saisi en Jésus le caractère de l’avenir est devenu sel. Jésus recherche l’essence des choses. Il ne désire rien d’autre que leur réalité profonde. En toute chose, c’est l’être lui-même qui l’intéresse. Il ne peut donc inciter personne à se conduire d’une manière qui ne corresponde pas à son être intérieur. Jésus voit dans ses amis les hommes et les femmes qui ont son esprit et qui respirent sa vie. La dynamique du monde à venir est à l’œuvre en eux. Tout leur être reflète ce que sont la justice, la pureté, et l’amour inconditionnel. Le royaume qui vient et qui embrasse toute chose appartient à Dieu. Il s’oppose à toute pourriture et à toute corruption. Il résiste à la mort, l’affadissement, la mollesse et l’incurie.
On peut tenir la mort en échec à l’aide du sel. Chacun sait que les médecins peuvent repousser la mort au moyen du sel. Ils peuvent redonner sa force à un organe ou soutenir ses fonctions avec du sel. L’injustice, le péché en soi est la maladie de l’âme du monde, et c’est une maladie mortelle. Les amis du Royaume sont appelés à être le sel de la terre, et donc à repousser l’injustice qui la ronge, à empêcher qu’elle ne meure, à lutter contre sa décomposition.
Le sel est là pour le tout.
Le monde doit disparaître pour pouvoir naître de nouveau. Mais tant que le sel reste efficace dans le monde, il agit contre les dernières manifestations du mal, car il est la force du monde qui vient, de la terre renouvelée. Si l’Eglise perd son caractère, son sel, elle cesse d’être l’Eglise ; elle meurt de la même mort que le monde. Il ne reste plus qu’à la piétiner. Si le sel perd sa saveur, comment la lui rendra-t-on ? Il ne sert plus à rien. Le sel est par essence quelque-chose d’autre que l’aliment auquel il donne du goût. C’est pourquoi le sel ne doit pas exiger ou attendre du monde qu’il devienne sel. L’être-même des citoyens du Royaume représente un avertissement constant au monde : sans sel, celui-ci est voué à la mort. Les aliments sans sel sont insipides et fades. Il en est de même du monde sans l’Eglise. Et si l’humanité n’est pas en mesure de se comporter comme le sel de la terre, elle peut cependant reconnaitre aux effets du sel ce qu’est la mort et la pourriture et comment il faut s’opposer à la mort. Le sel lui sert de correctif et de point de référence auquel elle s’efforce de correspondre.
Ce qui ne peut être utilisé que comme engrais est valorisé par le sel. Celui-ci suscite la joie et il est au service de la vie. Partant de cette force, l’effet du sel ne peut se manifester que s’il est autre que la masse qui l’entoure, que si lui-même ne fait pas partie de ce qui est voué à la décomposition. S’il devenait infect et tiède, on serait forcé de le recracher. Le sel de la terre n’est présent que là où Dieu est présent, là où la justice qui vient est réalité vécue, là où les forces du monde à-venir suscitent un processus de croissance, là où la force de vie de l’amour de Dieu est à l’œuvre. Dieu lui-même est l’Esprit créateur. Lui seul est capable de mettre fin à toute décomposition, il est l’esprit vivant qui ressuscite et dont la force de vie ne peux jamais faiblir. Il est le Dieu des miracles qui peut susciter une nouvelle naissance dans ce qui est le plus corrompu ou le plus déliquescent et transformer le dégoût et la répugnance en joie et en bénédiction.
La puissance qui jaillit de Dieu qui, de toute la profondeur de son être, veut se répandre sur la vie entière, est supérieure à tous les efforts menés par une morale pourrie, une citoyenneté miteuse ou un comportement social mensonger. L’image du sel est porteuse de force. Nous avons ici à faire au courage et à la virilité. Il s’agit de nager à contre-courant et de ne pas pourrir avec la pourriture. L’expression est brève et simple. Il s’agit d’une vérité sans fard qui serait mortelle pour ceux à qui elle s’adresse si l’amour pour celui qui la dit et pour celui qui l’entend ne l’accompagnait. Il s’agit d’un amour qui ne peut tuer, qui ne cause de tort ni au prochain ni à soi-même et qui surmonte le mal. Il s’agit d’être déterminé au point de s’arracher un œil plutôt que de voir pourrir le corps tout entier. Il s’agit de fidélité et de fiabilité à toute épreuve. Il s’agit d’une parole et d’un amour qui ne se dénient jamais. Il s’agit de liberté par rapport à tout ce qui est extérieur et sans importance. Il s’agit de la capacité de donner tout son temps et toutes ses possessions. C’est l’amour, l’amour pour les adversaires et pour les ennemis en même temps que l’amour pour les amis et les frères et sœurs. Cette justice plus excellente, c’est la liberté : liberté par rapport aux trésors de ce monde, à l’angoisse et aux soucis que suscitent les possessions. C’est aussi la joie simple que procurent la lumière, la couleur, Dieu et tout ce qu’il est et tout ce qu’il nous donne.
Nous avons ici à faire au courage et à la virilité.
Seule cette vie de Dieu est le sel qui neutralise ce qui est du monde. Elle est l’ennemi mortel de la mort. Mais le sel ne peut être autre chose que du sel. Ceux et celles qui ont l’esprit de Jésus agissent comme le sel, sans même en avoir l’intention. Il serait fou de vouloir devenir sel sans l’être au plus profond, sous une autre impulsion que celle de Dieu. Ainsi, Jésus ne pouvait illustrer que sa vision de l’être sans exiger quoi que ce soit qui ne soit déjà présent. « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. »
Cette vie du sel, c’est la lumière qui ne peut s’allumer que par le feu, on ne peut ni l’exiger ni la forcer à se manifester si le feu n’est pas là. Le sombre Neptune ne peut se transformer en soleil. La lune ne peut transformer sa lumière froide en chaleur de midi. Mais le charbon, tout noir qu’il est, peut se transformer en un feu dont la chaleur rayonne et autour duquel toute la communauté peut se réunir et se réchauffer. Mais, pour devenir une lumière qui réchauffe, il faut que le charbon soit allumé, brûle et tombe en cendres.
La lumière sur le chandelier se consume pour pouvoir éclairer tous ceux qui sont dans la maison. Elle crée l’unité de la maisonnée et c’est en mourant qu’elle vit vraiment. Si on voulait ménager la lumière, on l’empêcherait d’être lumière. Ce serait un crime que de vouloir étouffer une lumière qui brille. Si on la prive de l’air dans lequel elle rayonne, elle s’éteint. Elle cesse d’être lumière.
L’humanité présentée par Jésus est clarté et chaleur, force de vie dans laquelle se consume la vie ancienne. Ce qui est honteux ne peut exister que dans l’obscurité. La clarté conduit à l’ouverture, à la simplicité et à la pureté, à ce qui est essentiel et vrai. Lorsque, sous l’influence de Jésus, les humains deviennent véritablement humains, leur vie devient authentique et pure. Elle brille dans l’obscurité du monde et démasque ce qui est falsifié et mensonger et ce qui tente de se dissimuler. Mais la lumière que Jésus allume ne se limite jamais à clarifier la situation. La lumière froide n’appartient pas au Royaume de Dieu. Il ne faut pas confondre la lumière dont parle Jésus avec la clairvoyance, la perspicacité, la clarté systématique des pensées et l’acuité du discernement. Il ne sert à rien de tenter de raisonner comme Dieu alors que jusque-là nous n’avons eu que des pensées humaines. Il s’agit de vivre dans le cœur de Dieu, de vivre du cœur de Dieu. La clarté de son être, comme celle du soleil, est une chaleur qui crée la vie. Son rayonnement est un amour qui construit la communauté, une joie qui unit, qui jaillit du plus profond de l’être et s’exprime par des actes toujours constructifs, jamais destructeurs.
La lumière du soleil, source jaillissante de vie, génère sur la terre une vie qui germe de partout et porte des fruits. Ceux qui vivent dans la clarté du jour participent à la vie et trouvent leur chemin dans le soleil. Seule la nuit est sans vie car elle est froide et obscure. Mais la mort existe aussi lorsqu'on vit dans la lumière et dans le soleil. Notre vie se déroule entre le jour et la nuit, c’est pourquoi notre être ne peut connaître la vie de la résurrection qu’en passant par la mort.
Aucune lumière ne peut répandre de chaleur et de clarté sans se consumer. L’être humain le plus grand a vécu cette réalité de la manière la plus douloureuse. La lumière du monde rayonne de la croix de Jésus. En sortant du tombeau, le ressuscité a envoyé les siens vers tous les peuples jusqu’aux extrémités de la terre. Seuls ceux et celles qui s’exposent, avec le crucifié, à la souffrance du monde et à sa culpabilité, ceux et celles qui connaissent leur propre péché et font l’expérience du pardon, peuvent se mettre au service du monde dans la lumière de la résurrection.
La lumière dont il s’agit ici est le Christ lui-même.
La lumière dont il s’agit ici est le Christ lui-même. Il vient vers nous comme le feu du jugement pour consumer la vie soumise à la corruption, pour nous conduire dans une vie lumineuse comme si nous avions été crucifiés et étions ressuscités avec lui. Car un seul être au monde peut illuminer de sa lumière tous ceux qui viennent dans ce monde : celui qui était toute lumière, qui n’était pas pris au piège du mensonge, de l’impureté, de la haine et de l’avidité.
Nous nous aveuglons nous-mêmes si nous mettons en avant la fausse lumière qui émane de notre vie ou de notre pensée, si nous essayons de briller sans nous laisser brûler et consumer en Christ. Nul être humain ne peut nous enseigner de qu’est la lumière. Se donner à la terre comme le fait à profusion le soleil ne peut être en aucun cas une œuvre humaine !
Le soleil lui-même attire nos regards non sur lui-même, mais sur la vie qu’il éclaire et qu’il pénètre, ce qui fait que nous ne pouvons pas ne pas parler du soleil quand nous voyons des montagnes, des forêts et des champs « au soleil ». La ville sur la montagne brille pour tous ceux qui veulent la voir. Mais personne ne pourrait la voir si elle n’était pas éclairée par le soleil. Ce que le soleil illumine est imprégné de soleil. Tout ce que le soleil éclaire et réchauffe devient vie, organisme. Toute vie qui naît de la lumière et de la chaleur du soleil unit tous les éléments du vivant dans une relation organique. Là où il y a vie, il y a communauté. Comme la lumière sur le chandelier réunit autour d’elle la communauté, ainsi en est-il de la ville sur la montagne : elle est l’image d’une communauté de vie qui est tout à la fois unité économique, organisme administratif, communauté de travail et unité dans la foi et dans la joie. Les tours d’une ville située sur une montagne signalent de manière visible de loin que cette cité est libre, qu’il s’agit d’une commune et d’une communauté de foi. Une telle cité n’est pas construite pour être cachée ou vivre pour elle-même. Ses portes ouvertes montrent à tous la joie profonde de cœurs ouverts.
Jésus ne veut rien de caché. Sa lumière est une force de vie universelle qui appartient à tous. Elle affecte tous les aspects de la vie, tout comme le soleil brille pour les justes et les injustes. Dieu fait du bien à ses ennemis comme à ses amis. Dieu est là pour tous et pour tout. Son sel, sa lumière et la cité sur la montagne n’ont d’autre mission que d’être là pour tous.
Son sel, sa lumière et la cité sur la montagne n’ont d’autre mission que d’être là pour tous.
Le sel et la lumière ne devraient rester écartés d’aucun domaine de la vie. La ville sur la montagne ne devrait se soustraire à aucune responsabilité - ni dans le domaine économique, ni dans le domaine politique. Partout où la corruption se manifeste, le sel peut y remédier. La lumière est appelée à chasser l’obscurité partout où l’ignominie cherche à se répandre à la faveur de l’ombre. Tant que la chaleur de l’amour du Christ qui brille partout est présente au monde, le souffle glacial de la haine ou de la dureté de cœur ne peut prendre possession de lui entièrement.
Mais le secret de l’effet du sel et de la lumière chaleureuse réside dans une âpreté et une clarté sans mélange. La responsabilité que porte la ville sur la montagne pour son environnement est toute autre que celle de cet environnement lui-même. La ville sur la montagne ne peut perdre ni sa liberté ni son identité au profit d’un Etat, d’une Eglise, d’un parti politique ou d’un programme quelconque de ce monde. Elle est là pour tous sans se laisser asservir ou récupérer. Elle lutte contre toutes les misères et toutes les injustices sans capituler devant la misère, sans se livrer à l’injustice. Elle doit rester sel et lumière. Car en elle se cache le germe du monde à venir.
Extrait du livre SEL ET LUMIÈRE par Eberhard Arnold.