Alternative à la guerre

À propos de l’article de Scott Button « Une vie qui répond à la guerre » : la lecture de cet article appelle à mon sens deux questions principales : Quel prix est-on prêt à payer pour ses convictions ? Comment se définit l’intérêt national ?

Israël ne reconnaît pas le statut d’objecteur de conscience. Mon père, mobilisé pendant trois guerres comme soldat, a fini par refuser de servir dans un centre de détention où l’humiliation des détenus palestiniens était monnaie courante. Deux de mes frères ont également refusé de servir ; tous trois ont été envoyés en prison. Mais le prix à payer par les soldats envoyés pour contrôler les populations civiles palestiniennes ou protéger les colons israéliens dans les territoires occupés pourrait bien s’avérer encore plus élevé. Un jeune Israélien m’a confié qu’un souvenir le taraude sans répit depuis son service militaire. Il dût entrer dans la maison d’un Palestinien en pleine nuit afin de surveiller sa femme et plusieurs enfants, avec son arme pointée sur eux. Si davantage de personnes choisissent de reconnaître l’humanité des Palestiniens et refusent de servir l’occupation militaire qui les opprime, nos intérêts communs seront bien mieux défendus..

Zohar Regev, Bethléem, Palestine

Des manifestants s'abritent lors d'un assaut contre le palais de justice fédéral de Portland, juillet 2020.. Photo : Alex Milan Tracy, Sipa USA/Alamy Live News

 

 

Pas de paix passive

A propos de « Au-delà du pacifisme » d’Eberhard Arnold : L’engagement d'Arnold envers le Sermon sur la Montagne imprègne toute sa perspective théologique et sous-tend une vision foisonnante, s’adressant à nous depuis une époque où les intellectuels chrétiens, surtout en Europe, étaient au fait des travaux de Karl Marx et de la pléthore de mouvements socialistes qui gagnaient du terrain à travers le monde. Les critiques théologiques du capitalisme formulées par Arnold sont plus pertinentes que jamais.

Cependant, devant l’inflexibilité de la théologie non-violente d’Arnold, le danger est important que nous, chrétiens – surtout ceux qui ne subissent pas directement la violence – nous détachions des réalités des opprimés. Écrivant dans les années 1920 et 1930, Arnold déclare, « Nous devons protester contre toute effusion de sang et toute violence, quelle qu’en soit l'origine ». Mais qu’en est-il des contre-exemples tels que les soulèvements juifs ultérieurs dans les ghettos et les camps de concentration d’Europe, dans lesquels les opprimés affirmèrent leur humanité contre ceux qui voulaient les anéantir ?

Cameron Coombe, Dunedin, Nouvelle-Zélande

Ici, en Éthiopie, la violence est à l’ordre du jour, et il est très courant d’entendre parler du meurtre de personnes innocentes en raison de leur appartenance ethnique ou de leur religion, voir même sans raison précise. Certains se disent combattants de la liberté et se sont fait justice eux-mêmes, car le gouvernement tente de mettre fin à la violence, mais pas à instaurer une véritable paix. Priez pour nous ! Proposez une solution !

La non-violence ou l’absence de guerre, ce n’est pas la paix. À moins d’être éternelle, la paix est imparfaite. La paix éternelle ne s’obtient que par l'amour de Dieu. En Jésus, nous avons la réconciliation avec les autres. Il nous donne la force, par son Esprit, d’être des artisans de paix tant avec nos voisins et amis qu’avec nos ennemis.

Birhanu Fanthun, Hawssa, Ethiopia

Il est surprenant de constater qu’Eberhard Arnold et Dorothy Day ont utilisé les mêmes mots pour décrire notre système capitaliste : sale, pourri. Tous deux ont indiqué que la communauté était la solution : Eberhard Arnold tenait à vivre en communauté complète des biens, et le mouvement Bruderhof qu’il a fondé a conservé cette règle. Dorothy Day et le Catholic Worker n’ont jamais aspiré à ce degré de communauté de biens. Les plus modestes d’entre nous parlent de « simplicité ».

Il est bon de jeter un bref coup d’œil à l’enseignement social de l’Église catholique, car Dorothy Day entre autres ouvriers catholiques, ne se sont jamais définis autrement que comme des fils et filles fidèles à l'Église, quoique parfois très en colère contre elle. La base de cet enseignement est l’encyclique Rerum novarum produite en 1982 par le pape Léon XIII. Il a résisté à de puissantes pressions au sein de l’Église en affirmant le droit des travailleurs à s’organiser pour la négociation collective et pour le droit de grève. En 1931, le pape Pie XI a publié Quadragesimo anno, une condamnation encore plus explicite du capitalisme. Si l’Église reconnaît le droit à la propriété privée comme garant de la liberté, ce droit n’est pas absolu et doit être subordonné au bien commun universel.

Tom Cornell, Marlboro, New York, USA

En abordant le « passivisme » du Jésus de Tolstoï, Arnold soulève un point fondamental des plus important : on risque de comprendre Jésus de travers si l’on sort ses commandements de leur contexte plus large et faute de les interpréter à la lumière de l’ensemble de la volonté de Dieu. Du point de vue du magistère protestant, il s’agit là d’un problème auquel Arnold lui-même s’est confronté.

La vie de Jésus était celle d’un simple citoyen ayant reçu un appel spécifique et unique de Dieu. Si l’on doit bien sûr émuler son caractère et ses manières de faire, puisqu’il nous l’a commandé, il ne nous a toutefois pas demandé d’avoir le même genre de vie. Il ne s’est pas marié, ce qui ne signifie pas que ses disciples en avaient l’interdiction. Comme simple citoyen, il n’a pas eu recours à la violence, ce qui ne signifie pas que les autorités publiques chrétiennes devraient se l’interdire.

Les commandements de Jésus, qu’Arnold résume par les mots « amour, justice et paix », doivent être pris dans un contexte plus global. L'amour, entendu comme désir du bien, est le principe général de la vie chrétienne, mais son application à chaque contexte particulier est plus compliqué qu’Arnold ne le laisse entendre. Paul, qui recommandait l’amour, à l’instar de son Seigneur, n’hésite pas à menacer les Corinthiens :  s’ils ne se repentent pas, il viendra les trouver « avec une verge à la main ». L’injustice provoque la colère, et c’est parfois ce que les chrétiens se doivent ressentir, bien qu’elle n soit pas toujours compatible avec douceur et mansuétude, fruits plus « naturels » de l’amour. Dans certains cas, on peut soutenir que les chrétiens se prêtent à une tromperie justifiée ; dans d’autres cas, ils peuvent faire un vœu ou prêter serment au nom de la paix et de la sécurité d’autrui.

Arnold se concentre sur la volonté révélée de Dieu pour les chrétiens en tant que chrétiens, et sur la domination invisible de Dieu dans leurs âmes par la grâce ; il oublie que Dieu gouverne également par l’intermédiaire de magistrats, parfois par des actes judiciaires ecclésiastiques de la part de l’Église visible, et parfois même par l’intermédiaire de chrétiens ayant des fonctions,  entre autres de magistrat, qui s’accompagnent d’obligations et de permissions exceptionnelles données par Dieu.

Dans de tels cas, les chrétiens continueront à suivre le principe fondamental de l’amour de Dieu, mais si l’amour est effectivement incompatible avec la malveillance, il n’est pas incompatible avec la nécessité de faire souffrir les autres, même si cet acte indispensable est accompagné de tristesse.
Ce serait probablement une déformation que mettre en lumière seulement nos désaccords avec Arnold. C’est pourquoi les protestants du magistère doivent aussi dire ce qu’il faut reconnaître et mettre à son crédit : son zèle louable en faveur de la justice, de la paix, de l’amour et de l’épanouissement humain. Pour cet auteur, il ne fait aucun doute que la vie personnelle de certains chrétiens de la tradition pacifiste (même s’ils rejettent cette étiquette à l’instar d’Arnold) témoigne de façon très exemplaire de l’Esprit vivant de Jésus sur terre. Si le monde a besoin de quelque chose, c’est surtout de plus de Jésus..

Andrew Fulford, Montreal, Québec

Approbation

Merci pour la variété des sujets abordés – avec le courage de l'Évangile. J'apprécie tout particulièrement de découvrir, dans des articles bien documentés, la vie de personnes que, sans vous, je n'aurais jamais connues.

Hélène Meslay, Revonnas, France