Assis avec mon journal devant une tasse de café, un matin de septembre 1995, je découvris avec horreur les gros titres sur l'enlèvement, en plein jour, d’une fillette de sept ans. Une semaine plus tard, le principal suspect, une connaissance avec qui la famille entretenait des liens de confiance, avouait son crime : il avait attiré la petite fille dans un bois près de sa maison, l’avait violée, battue à mort et avait caché son corps.
La réaction du public, prévisible, fut que cet homme méritait la mort. La nouvelle loi en vigueur sur la peine capitale en faisait un candidat idéal.
Le procureur de la République s’était engagé au départ à requérir une peine maximale de vingt ans en échange d’éléments permettant de retrouver le corps de la fillette. Puis il se rétracta, disant qu’il irait jusqu’à conclure un pacte avec le diable pour retrouver l’enfant. Il ajouta qu’il espérait être le premier procureur dans l’histoire récente de l’État de New York à envoyer un homme à la mort. Certains résidents du quartier où vivait la fillette, interviewés par des journalistes, allèrent jusqu’à suggérer que l’on rende au meurtrier sa liberté afin qu’eux-mêmes puissent lui régler son sort.
Même si toute cette rage était compréhensible, je me demandais en quoi elle pouvait consoler la famille endeuillée de la petite victime. En tant que pasteur, je me sentais à peu près sûr de ce que je devais faire : je fis en sorte qu’une personne de ma congrégation assiste aux obsèques et j’envoyai des fleurs aux parents de l’enfant. J’essayai aussi – mais en vain – de les rencontrer. Mais mon cœur restait lourd de tristesse.
J’eus le sentiment, un jour, qu’il me fallait rendre visite au meurtrier – qui n’était encore pour moi qu’un monstre sans visage – pour le mettre face à l’horreur de ce qu’il avait commis. Je voulais l’aider à voir qu’après un crime aussi abominable, seul le remords pour le reste de sa vie pourrait le mettre en paix avec lui-même.
Je savais que ma visite serait mal vue. Peut-être même serait-elle mal interprétée, mais j’étais convaincu que c’était là mon devoir. C’est ainsi que je me retrouvai quelques mois plus tard dans la prison, face à face avec le meurtrier, qui ne portait pas de menottes. Les heures que j’ai passées dans cette cellule m’ont ébranlé profondément et m’ont laissé avec de nombreuses questions sans réponse – questions qui m’ont finalement mené à la rédaction de ce livre.
Moins de trois mois après cette rencontre, l’assassin fut mis en présence de la famille de la victime au tribunal. La salle était comble. En y entrant, on était comme frappé par une vague d’hostilité.
La condamnation – la prison à vie sans possibilité de réduction de peine – fut d’abord lue. Puis le juge ajouta : « J’espère que l’enfer que vous vivrez en prison n’est qu’un avant-goût de l’enfer que vous vivrez dans l’éternité. »
L’accusé put dire quelques mots : d’une voix à la fois forte et hésitante, il dit aux parents de la fillette qu’il « regrettait vraiment » les souffrances qu’il avait causées et qu’il priait chaque jour pour être pardonné. Un murmure hostile parcourut la salle. « Comment peut-on pardonner à un tel homme ? » me demandai-je.