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CheckoutLe 28 septembre 2012, je perdais l’un de mes enfants, mon fils Kevin, et un de ses amis, Sofiane, victimes d’un lynchage, à Échirolles, en banlieue grenobloise [1]. Tous deux n’avaient que 21 ans quand ils ont été assaillis dans un parc à moins de cinquante mètres de leur domicile par une bande de la cité voisine armée de couteaux, de battes, de marteaux, de pistolets à grenaille.
Kevin, étudiant, a reçu huit coups de couteau, dont un mortel au poumon. Sofiane, éducateur, a été poignardé une trentaine de fois et a eu la rate éclatée.
Ces jeunes, qu’ils ne connaissaient pas, les ont lynchés, comme si c’était un jeu collectif pervers, où les frontières du réel et du virtuel se confondent, comme s’ils se trouvaient dans un jeu vidéo où l’on peut « rejouer », ou dans un film que l’on peut rembobiner. Cette escalade haineuse reste à ce jour incomprise. J’ai du mal à accepter la manière dont la vie a été arrachée à mon fils. En tant que mère et pédiatre, je sais que je peux perdre mon enfant de maladie, d’accident, mais cet acharnement sans motif, cette lame de 18 centimètres enfoncée tout droit dans les poumons de mon fils… cela dépasse ma raison. Je n’accepte pas cette violence d’autant que mon fils était connu dans le quartier comme un jeune médiateur et pacificateur. Bien sûr je ressens de la colère, mais je ressens également de l’empathie et de la compassion pour ces jeunes gens du même âge que Kevin et Sofiane, désorientés, sans aucun ancrage familial, social et spirituel.
Croyante, il me semble que je leur ai pardonné naturellement car la Parole de Dieu me guide tous les jours de ma vie dans les petites comme dans les grande choses, et l’évidence du pardon découle de mon obéissance à la Parole de Dieu. Mais faut-il parler de pardon alors que je n’ai jamais ressenti de haine ? Méditer l’Évangile est le meilleur apprentissage que l’on puisse faire du pardon. Jésus ne dit-il pas à Pierre de pardonner « jusqu’à soixante-dix fois sept fois » ? En effet, le pardon n’est jamais acquis à tout jamais, il est sans cesse à re-choisir. Nul n’est à l’abri de la colère qui gronde ; seul Dieu peut nous donner la force de pardonner, pour peu que nous le lui demandions. En tant que chrétien, on ne peut passer à côté.
Je ne sais pas si Dieu permet les épreuves, mais par sa grâce, il nous donne les moyens d’en sortir. Face aux accidents de la vie, on peut se révolter et rejeter l’Alliance, ou au contraire la renforcer car Dieu nous accompagne, il traverse nos souffrances, il les vit avec nous.
Néanmoins, le pardon exige un engagement mutuel : celui qui le donne, don par-dessus tous les sentiments négatifs, et celui qui le reçoit et qui doit être dans une démarche d’acceptation.
Si donc un jour l’un des meurtriers de mon fils me demande de lui accorder mon pardon, je le ferai. Ou si l’un d’entre eux me demande un jour de l’accompagner dans son travail de repentir, je suis prête à l’aider à réfléchir sur son acte criminel afin qu’ensemble nous puissions avancer. Le pardon nous libère de nos chaînes.
Mais nous n’en sommes pas là car devant l’horreur et l’énormité de leur acte, la première réaction de ces jeunes est le déni. C’est une stratégie classique de survie. Ils se cachent derrière cette posture et pour eux ce déni devient réalité.
Avec Calogero et beaucoup d’autres, je veux dire avec force : « Non pour nos frères, plus jamais ça ! »
On a poignardé ma jeunesse
Qui a mis ça la guerre dans nos quartiers
L’abandon, l’ennui, la télé
Des couteaux de combat dans les mains des gamins
Pour un regard en croix c’est la fin
Et c’est parce qu’ils étaient là
Un Jour au mauvais endroit
Qu’ailleurs ici ou là-bas
Pour nos frères plus jamais ça !
Non pour nos frères plus jamais ça !
[1] Aurélie Monkam-Noubissi, Le ventre arraché, Bayard, 2014.