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Enfant, j’étais en admiration devant les compétences en soudure de mon Oncle Danni. Il y avait quelque chose qui me fascinait dans le fait de lier définitivement deux pièces de métal, comme le crépitement de l’arc électrique ou l’intensité de la lumière bleue qu’il m’était interdit de regarder. C’était à la fin des années 70 durant ce qu’on appelait alors « la crise du pétrole ». Mon oncle concevait et fabriquait des chaudières à bois pour les foyers de la communauté Bruderhof, où il vivait dans le Nord de l’état de New York. C’était un autodidacte, qui aimait aussi fabriquer ses propres gonds et verrous. En le regardant, je sus alors que je voulais souder.
Durant ma deuxième année d'étude, je suivis un stage de formation professionnelle en soudure. Mon formateur avait derrière lui des années d’expérience à la « Ville d'Acier » et un tas d’histoires faisant froid dans le dos sur les dangers inhérents au travail du métal. Nous apprîmes tous les types de soudures et nous entrainâmes dans toutes les positions car le défi auquel fait face le soudeur est de conquérir la gravité pour faire en sorte que le métal liquide reste exactement là où il le désire. Chaque fois que j’avais maitrisé un type de jointure et obtenu l’approbation de mon professeur quant à la forme et la technique, j’avais un sentiment de fierté. Une soudure, c’est comme votre propre signature. Quand Keats écrivit « une chose de beauté est une joie éternelle », il ne pensait pas à la soudure parfaite, certes, mais il aurait bien pu.
L’été suivant mon oncle m’invita à New York et nous fabriquâmes et soudâmes ensemble une grande chaudière à bois. J’avais acquis mes qualifications de soudeur et il me faisait confiance. Avec douceur, à sa manière, il m’enseignait bien plus que la soudure : l’éthique au travail, l’entrée dans l’âge d’homme, la vie même. Je ne soudais plus juste pour m’entrainer : chaque joint que je soudais sur une chemise d’eau ou un échangeur de chaleur devait passer le test d’un essai sous pression. Oncle Danni me mettait à l’épreuve et j’aimais ce défi.
Après le lycée, je suivis pendant une année des cours de technique d’usinage dans un « community college » au nord de Pittsburgh. Puis je rejoignis les communautés Bruderhof où je fus employé dans l’entreprise communautaire, la Rifton Equipment, qui fabrique du matériel thérapeutique pour les personnes handicapées. Je devins Formateur Soudeur. Depuis lors, même après avoir évolué vers d’autres emplois, m’être marié et avoir élevé une famille de quatre enfants, je continue à me servir de ce que j’ai appris en soudure, pour effectuer des créations durant mes heures de loisir.
J’ai bouclé la boucle il y a deux ans : j’enseigne maintenant en formation professionnelle de soudure au lycée Bruderhof Mount Academy, à Esopus dans l’état de New York. Un garage en briques rouges, bâti il y a plus de cent ans, a été rénové en un magnifique atelier.
C’est l’occasion pour moi de transmettre mon métier. Chaque étudiant intégrant le cours vient avec des aptitudes différentes mais tous ont en commun la motivation d’acquérir le même savoir-faire que celui qu’on ma transmis il y maintenant bien des années. Les plus belles soudures de précision sont faites en créant d’abord un arc avec une électrode tungstène puis en tamponnant précisément une baguette de remplissage pour la soudure finale. Ces soudures TIG, faites la plupart du temps sur de l’aluminium ou de l’acier, sont le genre de soudures précises, aux ondulations uniformément réparties que vous verrez sur un VTT bien fabriqué. Elles ont un éclat particulier. Quand les élèves maitrisent les valeurs optimales de vitesse de la torche et de quantité de métal, ils sont impatients de retirer leur masque de soudure pour voir leur art.
Le semestre dernier, cinq de nos étudiants en soudure niveau deux ont participé à une compétition organisée par la New York State Skills USA. Un des élèves a fait une superbe sculpture d’une créature mythologique, l’art étant un autre débouché créatif de ce qu’ils apprennent. Un autre élève s’est très bien classé dans la compétition individuelle et notre équipe de trois étudiants a décroché le bronze en soudant un poêle hexagonal.
Avant le passage du diplôme, chaque étudiant crée une plaque nominative qui est fixée sur notre tableau d'honneur. Ils emportent aussi avec eux les leçons que j’ai apprises de mon Oncle Danni mort l'année dernière : l’autodiscipline, la fierté d’un travail exigeant, la dignité d’un métier qualifié et la réelle appréciation d'une belle ligne de soudure.
Photographie par Christopher Burns/Unsplash.
Traduit de l'anglais par Pierre Kehoe
Mario Meier est professeur au Mount Academy, Esopus, dans l'État de New York, un lycée privé tenu par les communautés Bruderhof.