« S’il arrive un malheur », avait-elle déclaré, j’espère que ça m’arrivera à moi, les autres ont des familles », se souvient son ami Ivan, lors de ce week-end.
Sœur Dorothy Stang arriva dans la forêt tropicale brésilienne à peu près en même temps que les magnats de l’agrobusiness. En 1966, lorsqu’elle-même et quatre autres sœurs de Notre-Dame de Namur furent envoyées aider les paysans de la forêt à devenir économiquement autonomes, le gouvernement venait juste de commencer son idylle avec la Banque mondiale. L’idée était d’obtenir des fonds pour développer l’exploitation forestière, minière et l’élevage de bétail en Amazonie. Le Wall Street Journal qualifia cette initiative de « miracle brésilien ». Les paysans l’appelèrent « capitalismo selvagem », une bête sauvage féroce.
Dorothy a été élevée dans la religion catholique à Dayton, Ohio. À dix-sept ans, elle et sa meilleure amie sont entrées dans le même ordre religieux. Elle avait un profond désir de servir les pauvres et se lier d’amitié avec des personnes très différentes d’elles.
Lorsqu’elle est arrivée au Brésil, elle a vite compris que servir les pauvres serait impossible sans se mêler de politique. C’était une époque charnière, où les évêques d’Amérique latine s’attaquaient hardiment aux injustices locales en suivant les enseignements de l’Évangile. Dorothy a contribué à la création de dizaines de « communautés ecclésiales de base », qui se développaient dans toute l’Amérique latine : des coopératives dirigées par des laïcs pour favoriser le développement spirituel des paysans et leur autonomisation économique. Elle apprit le portugais et les langues indigènes locales, fonda des écoles et, à plusieurs reprises, déposa des plaintes en justice au nom de petits agriculteurs spoliés de leurs terres.
Elle s’est également préoccupée de préserver les forêts elles-mêmes, à une époque où le mouvement écologiste n’en était qu’à ses balbutiements. Sur son T-shirt préféré était imprimé, « La mort de la forêt c’est aussi la nôtre ». Sa mission consistait entre autres à plaider pour la reforestation des zones dénudées en y plantant des arbres de culture appropriés, comme le café et l’açaí. Elle encourageait les petits agriculteurs à utiliser des techniques intensives plutôt que les brûlis des grands propriétaires terriens.
À la fin des années 1990, la déforestation fit l’objet d’une attention accrue et un groupe d’éleveurs et de mineurs inscrivit le nom de Dorothy en tête de liste des personnes les plus nuisibles à leurs intérêts
Le 12 février 2005, Dorothy s’est levée tôt pour se rendre à une nouvelle réunion de son village, dont l’ordre du jour était d’élaborer une stratégie de lutte contre l’exploitation forestière illégale. Elle était au courant des rumeurs selon lesquelles des éleveurs et bûcherons s’étaient réunis en janvier pour déterminer comment l’éliminer et qui paierait les assassins. Les choses se sont envenimées. Des hommes armés venaient d’expulser de chez lui un petit fermier, Luis, parce qu’un éleveur avait jeté son dévolu sur ses terres, et ils avaient brûlé sa ferme. Une fois rendue à la réunion, Dorothy avait prévu d’aménager un lieu d’hébergement pour la famille déplacée.
Lorsqu’elle arriva au sommet d’une petite colline, couvert de forêt, deux hommes lui barrèrent la route. Elle les connaissait ; ils travaillaient pour celui qui avait spolié Luis. « Tu es armée ? » ont-ils demandé. « Oui », répondit-elle, et elle sortit sa Bible en lambeaux. Elle l’ouvrit et a lu : « Heureux les pauvres en esprit. Heureux ceux qui ont faim et soif de justice. Heureux les artisans de la paix ». Et elle regarda les hommes qui se trouvaient en travers de son chemin. « Que Dieu vous bénisse, mes fils ».
Ils lui mirent six balles dans le corps.
Les nécrologies déroulent des phrases comme, « Elle a donné sa vie pour tant de justes causes… », évoquant ainsi une bonne âme, mais surtout une toquée avec toute une collection de marottes. C’est faux. Dès son adolescence, elle avait donné sa vie pour servir Christ, le roi d’un royaume où tous les hommes vivront en harmonie les uns avec les autres, et aussi avec la terre.