Derrière la misère du monde, dans cette culpabilité collective, se cache la Bête venue de l’enfer : le péché, qui s’en prend à Dieu ! Dans la mort de Jésus, la misère du monde se révèle dans son plus grand péché. C’est seulement au comble de son crime le plus grave qu’elle peut être vaincue. La dernière source de la souffrance est découverte : être « sans amour et sans Dieu » [1]. « Rien n’est perdu, si ce n’est l’âme qui a perdu son Dieu ».
La constatation de l’énormité de cette terrible perte induit une question essentielle : Dieu serait-il irrémédiablement perdu ? A moins que Dieu ne soit, dans la manifestation de sa perte, dans cette impossibilité où nous nous trouvons de rechercher ce qui est perdu, plus proche que jamais ! Désormais, il est évident que tout, dans notre existence, s’oppose à lui. Les hommes ont tué Dieu. Il est donc certain que la vraie religion ne saurait venir des hommes. Il est devenu évident que la religion des hommes est sans Dieu. Voici ce qui doit maintenant se manifester : soit Dieu détourne son cœur de la bande d’assassins qui s’entredéchire et qui, dans la folie de son péché, s’en prend même à lui, à son Dieu ; soit il se révèle à ces assassins, dans la misère la plus grande de leur péché le plus grave, comme le Bien absolu.
Là commence le miracle de la puissance créatrice, la révélation de l’Esprit vivifiant et créateur de l’Amour absolu. Le Ressuscité apporte aux hommes la proximité de Dieu, sa vie qui renouvelle toutes choses, comme jamais auparavant. Jésus ouvre dans le monde une voie nouvelle pour Dieu, qui pénètre les ténèbres sans en être la proie ! En répandant son Esprit sur les hommes, Dieu peut enfin ouvrir son cœur, avec la plénitude de son pardon et de sa réconciliation ! Pour tous ceux qui le contemplent, Dieu devient clarté et lumière.
On ne peut plus douter que notre monde s’oppose à son amour et à sa vie de communion. Jésus devait mourir. Il a suivi la voie de Dieu dans un monde gouverné par Mamon, dans la sphère des esprits impurs, au milieu d’une humanité incline au meurtre, à l’hypocrisie et au mensonge. Il a suivi la voie de la Vie et de l’Esprit, celle de l’amour et de la puissance. Et ce chemin de lumière l’a sorti du tombeau et lui a redonné un avenir !
Maintenant, Dieu s’est approché de nous. Ce chemin que Jésus a suivi dans la mort est le chemin de Dieu vers la résurrection du Christ. Quiconque veut mener le même combat que lui doit être prêt à être éliminé comme lui, à être persécuté et mis à mort. C’est le paroxysme de la misère. Vouloir accomplir la volonté de l’Esprit infini dans ce monde d’oppression, oui, penser que la terre, le pays, toutes choses ne sont que pour Dieu et pour son Esprit, signifie ne faire plus qu’un avec le Dieu aux mille tourments. C’est boire jusqu’à la lie la dernière goutte de l’amertume. C’est endurer la mort avec Dieu.
Consacrer à Dieu son corps et sa terre conduit à la mort, à la mort physique dans toute sa réalité terrestre, dans toute sa laideur. Car la « vie » est injuste et ne tolère pas la justice. Chaque fois qu’un esprit d’entraide, une volonté d’aimer avec un désir de communauté, cherchent à transformer quelque chose de la nature et de la substance de ce monde, une puissance s’y oppose avec toute sa violence meurtrière. Celui qui s’attaque à l’injustice doit mourir.
Que faire alors, sinon se sacrifier soi-même avec tout ce que l’on a, dès que le chemin et le but deviennent clairs ? Sans ce but ou en-dehors du chemin, les torturés ne subissent pas encore le « martyre ». Seuls les témoins sont des martyrs.[2] Des milliers de personnes ont été pendues et crucifiées. Seul Jésus pouvait mourir en sorte que de sa mort résulte une vie nouvelle. Il n’y a qu’en Jésus que la vie vient par la mort. En elles-mêmes, détresse et mort ne sont que fin et enfer. Le Dieu vivant est la puissance qui fait ressusciter de la mort. Cela ne se révèle qu’en Christ, le Ressuscité. L’annonce de Jésus crucifié et de sa mort est inséparable de sa résurrection, du nouveau commencement inauguré par le Christ. Le Christ rendu présent par son Esprit porte en lui toute la misère que son cœur a embrassée dans sa mort. Il porte aussi la puissance qui, dans le mystère de sa résurrection, a accompli l’unité de la vie qui vient de Dieu.
Quiconque comprend cela ne saurait continuer à désespérer de Dieu – même dans la mort. Il a compris l’ultime aboutissement du désespoir, qui est d’être vaincu par la foi. Christ en nous est l’espérance certaine que tout trouvera son unité et son accomplissement dans un amour rayonnant – parce que Dieu vit et qu’il vient !
[1] Nikolaus Lehnau „Einsamkeit“, op. cit.
[2] Le mot « martyr » vient du grec ancien martus, dans lequel il signifie « témoin ».
Extrait du livre The Individual and World Need.