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Checkout« Je n’ai été scolarisée que jusqu’à l’âge de quatorze ans », aimait-elle à nous rappeler, nous éditeurs, chaque fois qu’elle repérait une bourde. Verena Arnold, qui fut longtemps correctrice pour les éditions Plough, recevait en général la copie papier d’un livre juste avant qu’il ne soit mis sous presse. A ce stade, le texte avait déjà été scruté minutieusement afin qu’y soit décelée la moindre erreur. Le travail de relecture de Verena arrivait en fin de parcours – une sorte d’ultime traque aux bévues. Avec une infaillibilité quasi agaçante, elle mettait le doigt sur des désastres qui avaient échappé aux autres : un mot manquant, une phrase nébuleuse, une ponctuation incongrue.
Verena avait peut-être arrêté l’école à quatorze ans, mais c’était une lectrice insatiable. Née dans une famille de douze enfants, de parents suisses pacifistes émigrés, elle grandit dans l’arrière-pays Paraguayen. L’anglais n’était pas sa langue maternelle (elle ne devait émigrer aux Etats-Unis qu’à l’âge de vingt-deux ans), mais elle en acquit au fil de ses nombreuses lectures une compréhension dont la finesse dépassait sans aucun doute celle de certains diplômés de facultés d’anglais.
Ce n’est qu’assez tard que Verena entra dans le monde de l’édition, après avoir élevé ses huit enfants et servi aux côtés de son mari, Johann Christoph Arnold, pasteur et auteur qui fut pendant dix-huit ans doyen du Bruderhof. Elle commença dans les années 90 avec la relecture des ouvrages (douze en tout) que publia celui-ci aux éditions Plough. Ces dernières années, elle avait élargi son activité à de nombreux autres titres publiés chez ce même éditeur.
Comment elle trouvait le temps de faire tout cela reste un peu un mystère. Née en 1938, à soixante-dix ans passés, elle restait très active au sein du mouvement international du Bruderhof, auprès de son mari. Après cinquante ans de mariage, ils formaient un couple inséparable. Ensemble, ils rencontrèrent des papes et des présidents. Elle rendait aussi visite à des condamnés dans le couloir de la mort.
Il y a dix-huit mois, elle perdit son mari. Elle poursuivit néanmoins les tâches pastorales qu’elle avait partagées avec lui, recevant quasi quotidiennement des personnes ou des couples. En plus de cela, cette vénérable grand-mère de quarante-quatre petits-enfants et arrière-grand-mère de six se rendait chaque jour à la lingerie pour aider à trier les jeans et plier les t-shirts des quelque trois cents membres de la communauté.
Verena s’installait souvent au milieu de la nature pour ses travaux de relecture. Munie d’une pile de documents et de son appareil-photo – la photographie animalière la passionnait – elle se rendait sur son lieu favori dans un bois voisin. Pendant la saison de la chasse, cet endroit servant d’abri pour les chasseurs, elle se munissait aussi d’un fusil et, tout en s’appliquant à ses corrections, surveillait d’un œil le passage du gibier.
Sa franchise légendaire pouvait déconcerter, mais elle s’accompagnait d’humour et d’une désarmante humilité. Dotée d’un fort esprit de compétition, surtout quand il s’agissait de jouer aux cartes, Verena avait aussi un côté rebelle et aimait contrecarrer les attentes. Rien n’attirait autant ses reproches que la flatter. Probablement désapprouve-t-elle cet article.
Si c’est le cas, c’est du Ciel qu’elle le désapprouve. Verena s’est éteinte le 21 septembre après cinq années de combat contre le cancer. Elle nous manquera terriblement. Comme l’a déclaré le cardinal Dolan de New York lors de sa veillée funéraire, « une grande dame est retournée auprès du Père ». Et si toi, lecteur des éditions Plough, tu remarques désormais davantage de coquilles, en voici la raison : dans sa nouvelle demeure, on a confié à Verena des tâches plus importantes.