Mystérieuse expression de l'épître aux Colossiens : « J'achève dans ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps qui est l'Église » (Col 1, 24). Que signifie théologiquement « achever » ? Peut-être faut-il relier cette affirmation à une autre belle formule paulinienne : « Être dans le Christ ». « Achever », dans ce sens, ne serait ni douter de la fécondité plénière et définitive de la croix, ni compléter quoique ce soit qui serait inachevé, mais bien manifester dans sa plénitude, entrer de plus en plus, par la souffrance du témoignage, dans le Christ, crucifié!
L'Église est, sans doute, le lieu de cette plénitude en jachère, en tant que corps historique, cosmique et eschatologique du Christ. Certes, tout est dit, tout est fait sur le Golgotha. Mais nous sommes appelés, en tant que corps d'humanité innombrable, à « vivre dans le Christ » et, ainsi, à contribuer à l'extension définitive de ce mystère aux dimensions de tout l'univers.
Toute souffrance humaine est celle du Christ « en son corps qui est l'Église »...
En ce sens, l'« Église », infiniment au-delà de ses formes visibles, doctrinales et institutionnelles, est bien le cœur mystérieux de tout homme et de tout l'homme dans son destin divin et christique. Toute souffrance humaine est celle du Christ « en son corps qui est l'Église » et Christ, en son centre, agonise à jamais en toute souffrance humaine, comme le suggère Pascal. Cet appel à achever ce qui manque aux souffrances du Christ est donc lancé à tout homme, croyant ou non, baptisé ou non.
Mais on peut méditer cette même expression à partir d'un autre point de vue. Quand l'Église se trouve dans une situation de péché grave ; quand règnent en elle le mensonge, la diffamation et l'immoralité ; quand le nom de Jésus n'y est plus prononcé que de façon superficielle et marginale; quand les conflits les plus aigus se jouent « entre frères », pour reprendre l'indignation de saint Paul face à sa communauté de Corinthe (1 Corinthiens 5-6) ; quand il ne reste que l'escalade de la violence qui condamne; quand le pauvre est oublié dans le débat, et le respect de la personne, des cultures et des différences n'est qu'un vain mot ; quand la soif médiocre de pouvoir inspire les paroles et les actes ; quand le vrai dialogue, le pardon ou simplement la tolérance paraissent impossibles ; en un mot : quand le « malin » s'est infiltré parmi nous, sans que nous y prenions garde, les larmes montent encore, comme hier, au cœur des prophètes, inconsolables pour le malheur de la fille de Sion.
Et résonne alors, profondément, cette parole : souffrir pour et par ce corps, qui est mon Église bien aimée, les souffrances qui manquent encore au Christ mystique recrucifié.
Extrait du livre de Simon Pierre Arnold, La foi sauvage, Karthala, 2011