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Vous pourrez, à juste titre, poser une question fondamentale : Pourquoi le Christ nous demande-t-il une chose aussi difficile que d’aimer nos ennemis ? N’est-ce pas une attitude que nous sommes par nous-mêmes incapables de réaliser ?
Aussi bien, il ne s’agit pas d’une nouvelle loi, d’une morale impérative que nous pourrions accomplir par nos propres forces. C’est plutôt une promesse, une promesse que Christ, si nous demeurons dans sa communion, s’il vit en nous, accomplira lui-même en nous, peut-être même sans que nous en ayons conscience. En effet, celui qui a rencontré le Christ, disons plutôt qui s’est laissé trouver par le Christ, connaît dès lors un immense bonheur. La croix a brusquement cessé d’être un événement lointain, perdu dans les siècles passés, elle est devenue une réalité actuelle. Et c’est alors la découverte merveilleuse de l’amour de Dieu pour nous, la découverte que Christ nous a aimés jusqu'à donner sa vie pour nous. Nous découvrons en même temps que nous avons de la valeur aux yeux de Dieu puisqu’il nous a donné son fils, ce qui constitue désormais notre seule vraie dignité. Du coup, notre vie a maintenant un sens positif, une utilité, puisque nous allons désormais vivre avec lui et pour lui...
Dès cette rencontre décisive, nous sommes poussés intérieurement par un triple élan. D’abord, nous désirons vivement remercier Dieu, mais comment le ferions-nous mieux qu’en cherchant à faire ce qui lui est agréable ? Or, il veut que nous aimions TOUS les hommes ! Ensuite, nous désirons avec ardeur demeurer dans sa présence, mais comment pourrions-nous le faire mieux qu’en obéissant à sa volonté ? Or, il veut que nous pardonnions à tous nos frères et que nous nous mettions à leur service ! Et enfin, nous sommes désormais envahis par le désir de faire connaître aux hommes ce merveilleux sauveur, de rendre témoignage aux autres de ce qu’il a fait pour nous et de ce qu’il est devenu pour nous. Or, notre meilleur et seul vrai témoignage à la gloire de Dieu, c’est quand nous aimons vraiment nos frères, tous nos frères sans distinction. Tel est, mes chers auditeurs, le lien qui existe entre la foi et l’obéissance du chrétien. Aimer Dieu, demeurer en lui et garder ses commandements, c’est une seule et même chose. Et puisqu’il m’a aimé malgré mon indifférence ou ma révolte passée, je dois donc aimer à mon tour ceux qui étaient jusqu’ici indifférents à mon égard, et même mes ennemis. C’est comme cela que je puis montrer à Dieu ma reconnaissance, que je puis demeurer en sa présence et que je puis le faire connaître autour de moi pour ce qu’il est : le Dieu vivant et saint !
Trois autres considérations éclaireront, je l’espère, notre méditation sur l’amour des ennemis. Premièrement, l’Évangile m’avertit que si je me sépare avec animosité d’un frère humain, si je lui refuse ma communion fraternelle, je me sépare du même coup de Dieu lui-même. C’est ce que me dit très fortement la parabole du débiteur impitoyable dans Matthieu 18, 33. Vous connaissez l’histoire de cet homme qui, en sortant du palais du roi qui vient de lui remettre entièrement son énorme dette, rencontre un camarade qui lui doit une petite somme. Et, sans pitié, le fait mettre en prison. Le roi le convoque alors et lui dit : « Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon comme moi-même j’avais eu pitié de toi ? » Et le roi le punit très sévèrement jusqu’à ce qu'il ait tout payé... Dès l’instant où il avait été impitoyable pour son camarade, il était, en fait, séparé de Dieu.
On retrouve la même idée dans un texte tiré du Sermon sur la montagne dans Matthieu 5, verset 23 et 24 :
Quand donc tu vas présenter ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; viens alors présenter ton offrande.
Qu’est-ce que cela veut dire ? L’offrande à l’autel, c’est le geste qui est destiné à nous mettre en communion avec Dieu. Mais, si j’ai moi-même rompu ma communion avec un frère, je suis, en fait, presque automatiquement séparé de Dieu comme de mon ennemi. Et mon offrande risque de n’être qu’une hypocrisie aux yeux de Dieu.
Un autre extrait du Sermon sur la montagne nous redit encore la même chose : Faites attention que c’est seulement avec le dernier mot que nous retrouvons notre problème. Mais écoutez plutôt dans Matthieu 7, versets 21 à 23 :
II ne suffit pas de me dire : « Seigneur, Seigneur ! » pour entrer dans le royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux deux. Beaucoup me diront en ce jour-là : « Seigneur, Seigneur ! n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé ? en ton nom que nous avons chassé les démons ? en ton nom que nous avons fait de nombreux miracles ? » Alors Je leur déclarerai : « Je ne vous ai jamais connus ; écartez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité. » (TOB)
Ainsi, quelle que soit notre piété, l’iniquité, la dureté de notre cœur nous séparent de Dieu.
Un deuxième thème vient confirmer notre thèse : on pourrait le résumer dans la phrase suivante : tout ce que tu fais aux autres, c'est au Christ que tu le fais. Cela apparaît déjà dans Matthieu 18, 5 : « Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m’accueille moi-même. » On est bien tenté, n’est-ce pas, de commenter en disant : « Qui rejette un enfant comme celui-là, me rejette moi- même. » Et tuer un homme, n’est-ce pas recrucifier Jésus-Christ ?
La parabole du jugement dernier vient nous ôter nos dernières illusions. Elle se trouve dans Matthieu 25 / 41-46 :
Alors le roi dira à ceux qui sont à sa gauche : « Allez-vous en loin de moi, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. Car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger ; j’ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire ; j’étais un étranger et vous ne m’avez pas recueilli ; nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. » Alors eux aussi répondront : « Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé ou assoiffé, étranger ou nu, malade ou en prison, sans venir t’assister ? » Alors il leur répondra : « En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l'un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait. » Et ils s’en iront au châtiment éternel... » (TOB)
Si le châtiment doit être aussi terrible pour ce que les gens n’ont pas su faire, quel ne sera pas le nôtre, si nous maltraitons nos ennemis, alors que Jésus les considère sans doute comme « les plus petits de ses frères », précisément parce que nous les menaçons ou les maltraitons ?
Pour terminer, toujours à propos de l’amour des ennemis, je voudrais vous présenter un certain nombre de textes qui tournent autour du mot : « comme. » Il suffit de les lire les uns après les autres pour comprendre que nous devons nous comporter, dans nos relations avec les autres, et en particulier avec nos ennemis, comme Christ s’est comporté envers nous, comme Dieu nous a aimés. Peut-être n’avez-vous jamais pris garde à ce petit mot : COMME » ? Alors, faites bien attention en lisant ces versets :
« COMME je vous ai aimés, vous devez vous aussi vous aimer les uns les autres »
« Soyez miséricordieux, COMME votre Père céleste est miséricordieux »
« Soyez parfaits, COMME votre Père céleste est parfait »
« Maris, aimez vos femmes COMME Christ a aimé l'Église et s’est livré pour elle »
« Vivez dans l'amour, COMME le Christ nous a aimés et s'est livré lui-même à Dieu pour nous »
« Pardonnez-vous mutuellement ; COMME le Seigneur vous a pardonnés, faites de même, vous aussi »
« Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon, COMME moi-même j’avais eu pitié de toi ? »
« En vous lavant les pieds, je vous ai donné un exemple afin que vous fassiez COMME je vous ai fait »
« Celui qui demeure en Christ doit marcher aussi COMME il a marché lui-même »
« Pardonne-nous nos offenses, COMME nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés »
« Que ton règne vienne sur la terre COMME au ciel ». (TOB).
Cet article est extrait et adapté du livre Jésus, ce non-violent, Éditions Olivétan, 2018. Utilisé avec autorisation.