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Sept thèses sur la non-violence chrétienne
par Eberhard Arnold
mardi, le 20 avril 2021
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Un chrétien a-t-il le devoir de tuer ? Pour Eberhard Arnold, le rédacteur fondateur des Éditions Plough, cette question est au cœur du sens du christianisme et de la vie humaine..
I. Au nom de Jésus, personne ne peut verser du sang humain.
Au nom de Jesus Christ nous pouvons mourir, mais pas tuer. C'est là que l'Évangile nous conduit. Si nous voulons vraiment suivre le Christ, nous devons vivre comme il vécut et mourut.
S'adressant à ceux qui préconisent une guerre de classes menant au communisme d'État : Dans la vie d'une nation, et dans la lutte des classes pour l'existence, des tensions et des conflits refoulés éclatent sans cesse et donnent lieu à des explosions de violence. Ces explosions révèlent l'exploitation et l'oppression, ainsi que les instincts sauvages de la passion cupide. Les gens réagissent de différentes manières à cette violence : certains tentent de faire respecter la loi et l'ordre par des moyens meurtriers, tandis que d'autres se sentent appelés à lutter pour la justice sociale avec les opprimés.
En tant que chrétiens, nous devons cependant regarder plus loin. Le Christ a témoigné de la vie, de l'épanouissement de l'amour, de l'unité de tous les membres en un seul corps. Il nous a révélé le cœur de son père, qui laisse son soleil briller sur les méchants comme sur les bons. Il nous a chargés de servir la vie et de la construire, non de la démolir ou de la détruire.
C'est pourquoi nous croyons en un avenir d'amour et de fraternité constructive – dans la paix du royaume de Dieu. Et notre foi en ce royaume est bien plus qu'un vœu pieux pour l'avenir. Il s'agit plutôt d'une ferme conviction que Dieu nous donnera son cœur et son esprit dès maintenant, sur cette terre. Semence vivante et cachée de l'avenir, l'Église s'est vue confier l'Esprit de ce royaume à venir. Son identité actuelle doit donc manifester maintenant la même paix, la même joie et la même justice qu'elle est appelée à incarner à l'avenir.
C'est pourquoi nous devons protester contre toute effusion de sang et toute violence, quelle qu'en soit l'origine. Notre témoignage et notre volonté de paix, d'amour à tout prix, même au risque de notre propre vie, n'ont jamais été aussi nécessaires. Ceux qui nous disent que les questions de la non-violence et de l'objection de conscience ne sont plus pertinentes ont tort. À l'heure actuelle, ces questions sont plus pertinentes que jamais. Mais pour y répondre, il faut du courage et de la persévérance dans l'amour. Jésus savait qu'il ne conquerrait jamais l'esprit du monde par la violence, mais seulement par l'amour. C'est pourquoi il a vaincu la tentation de s'emparer du pouvoir sur les royaumes de la terre, et c'est pourquoi il parle de ceux qui sont forts en amour – les artisans de la paix – comme de ceux qui hériteront de la terre et la posséderont. Cette attitude fut représentée et proclamée avec force par les premiers chrétiens, qui estimaient que guerre et profession militaire étaient inconciliables avec leur vocation. Il est regrettable que les chrétiens convaincus ne rendent pas aujourd'hui le même témoignage avec la même clarté.
Nous reconnaissons l'existence du mal et du péché, mais nous savons qu'ils ne triompheront pas. Nous croyons en Dieu et en la renaissance de l'humanité. Et notre foi n'est pas placée dans le progrès, l'inévitable ascension vers une plus grande perfection, mais nous avons foi dans l'Esprit du Christ – foi dans la renaissance des individus et dans la communion de l'Église. Cette foi considère la guerre et la révolution comme un jugement nécessaire sur un monde dépravé et dégénéré. La foi attend tout de Dieu, et elle ne craint pas le choc des forces spirituelles. Elle aspire plutôt à la confrontation, car la fin doit venir – et après elle, un monde complètement nouveau.
Toute personne ayant entendu l'appel clair de l'Esprit de Jésus ne saurait recourir à la violence pour se protéger. Jésus a abandonné tout privilège et tout moyen de défense. Il a pris le chemin le plus humble. Et c'est le défi qu'il nous lance : le suivre sur le même chemin, sans jamais s'en écarter ni à gauche ni à droite (1 P. 2, 21-23). Pensez-vous vraiment que vous pouvez suivre un chemin différent de celui de Jésus sur des points aussi décisifs que la propriété et la violence, tout en prétendant être son disciple ?
II. Il ne peut donc pas y avoir d'État chrétien.
L'épée du Saint-Esprit donnée à l'église est totalement différente à tous égards de l'épée de l'autorité gouvernementale. Dieu a remis l'épée temporelle, l'épée de sa colère, entre les mains des incroyants. L'Église ne doit pas l'utiliser. L'Église doit être dirigée par le seul Esprit du Christ. Dieu a retiré son Saint-Esprit aux incroyants parce qu'ils ne voulaient pas lui obéir. À la place, il leur a donné l'épée de la colère, c'est-à-dire le gouvernement temporel et sa puissance militaire. Mais le Christ lui-même est le roi de l'Esprit, dont les serviteurs ne peuvent manier d'autre épée que celle de l'Esprit.
Pourtant, nous ne pouvons pas aller voir un policier ou un soldat et lui dire : « Déposez vos armes tout de suite, et prenez le chemin de l'amour et de la vie de disciple du Christ. » Nous n'avons pas le droit de faire cela. Nous ne pouvons le faire que lorsque l'Esprit prononce une parole vivante dans notre cœur : « Le moment décisif est arrivé : il nous faut parler à cet homme. » Alors nous lui parlerons, et au même moment Dieu lui parlera. Ce que nous lui dirons doit être en accord avec ce que Dieu dit dans son cœur au même moment.
À l'époque de la Réforme, au début du XVIe siècle, nos frères [les premiers anabaptistes] ont protesté par milliers contre toute effusion de sang. Ce puissant mouvement des Frères était résolument réaliste car ils n'ont jamais cru que la paix mondiale, un printemps universel, étaient imminents. Au contraire, ils croyaient que le jour du jugement était proche. Ils s'attendaient à ce que la Guerre des Paysans soit un puissant avertissement de Dieu au gouvernement.
Prendre conscience que le monde utilisera toujours l'épée est réaliste. Mais ce réalisme doit être combiné avec la certitude que Jésus exclut toute effusion de sang ; il ne pourra jamais être un bourreau. Celui qui est exécuté sur la croix ne peut jamais exécuter personne. Celui dont le corps est percé ne peut jamais percer ou détruire des corps. Il ne tue jamais ; c'est lui-même qui fut tué. Il ne crucifie jamais ; il est lui-même crucifié. Les frères disent que l'amour de Jésus est l'amour de celui qui est exécuté pour ses meurtriers, celui qui lui-même ne peut jamais être meurtrier ou bourreau.
Aucun gouvernement ne peut exister sans recourir à la force. Il est impossible d'imaginer un État qui n'utilise pas la police ou la force militaire. En somme, un gouvernement qui ne tue pas n'existe pas. Aucun gouvernement ne fait de compromis avec le capitalisme, le mammonisme et l'injustice. Quand Jésus a dit : « Donnez à César ce qui appartient à César », il parlait d'argent (Luc 20:25). Il a qualifié l'argent d'étranger, de quelque chose avec lequel il n'avait rien à voir. Donnez cette chose aliénante à l'empereur ; ils sont faits l'un pour l'autre, Mammon et César. Laissez l'argent aller là où il doit aller, mais donnez à Dieu ce qui appartient à Dieu. C'est ce que ces mots signifient. Votre âme et votre corps n'appartiennent pas à César, mais à Dieu et à l'Église. Laissez votre mammon aller à l'empereur. Votre vie appartient à Dieu !
Jésus veut que nous reconnaissions l'État comme une nécessité pratique avérée. Mais il ne peut y avoir d'État chrétien. La force ne peut que régner là où l'amour ne règne pas.
III. Le pacifisme est une caricature trompeuse du rétablissement de la paix.
Nulle part, Jésus ne dit un seul mot pour soutenir le pacifisme au nom de son utilité ou de ses avantages. En Jésus, nous trouvons la raison la plus profonde de vivre dans la non-violence radicale, de ne jamais blesser ou nuire à nos semblables, corps ou âme. D'où vient cette direction intérieure profonde qu'il nous donne ? Elle trouve ses racines dans la source la plus profonde que nous ressentons les uns dans les autres : le frère ou la sœur dans chaque être humain, quelque chose de la lumière intérieure de la vérité, la lumière intérieure de Dieu et de son Esprit (1 Jean 2:10).
On dit et on fait beaucoup de bien pour la cause de la paix et de l'unification des nations. Mais je ne pense pas que ce soit suffisant. Si les gens se sentent poussés à essayer d'empêcher ou de retarder une autre grande guerre européenne, nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais le plus douteux, c'est qu'ils réussissent à s'opposer à l'esprit de guerre qui règne actuellement :
Quand plus d'un millier de nos Allemands ont été tués par Hitler – sans procès – n'est-ce pas la guerre ? Quand des centaines de milliers de personnes dans les camps de concentration sont privées de leur liberté et de toute dignité, n'est-ce pas la guerre ? Quand des centaines de milliers de personnes sont envoyées en Sibérie et meurent de froid en abattant des arbres, n'est-ce pas la guerre ? Quand en Chine et en Russie, des millions de personnes meurent de faim alors qu'en Argentine et dans d'autres pays, sont stockées des millions de tonnes de blé, n'est-ce pas la guerre ? Quand des milliers de femmes se prostituent et gâchent leur vie pour de l'argent, n'est-ce pas la guerre ? Quand des millions de bébés sont tués par avortement chaque année, n'est-ce pas la guerre ? Quand des gens sont forcés de se tuer à la tâche comme des esclaves parce qu'ils ne peuvent pas nourrir leurs enfants autrement, n'est-ce pas la guerre ? Quand les riches vivent dans des villas entourées de parcs alors que d'autres familles n'ont même pas une seule chambre à eux, n'est-ce pas la guerre ? Quand certains se constituent d'énormes comptes en banque alors que d'autres gagnent à peine de quoi subvenir à leurs besoins élémentaires, n'est-ce pas la guerre ?
Nous ne représentons pas le pacifisme qui croit pouvoir empêcher une guerre future. Cette revendication n'est pas valable ; la guerre fait rage depuis toujours et jusqu'à aujourd'hui. Nous ne défendons pas le pacifisme qui croit en l'éradication de la guerre grâce à l'influence modératrice de certaines nations supérieures. Nous ne soutenons pas les forces armées de la Société des Nations, qui sont censées tenir en échec les nations indisciplinées. Nous récusons un pacifisme qui ignore les causes profondes de la guerre – la propriété et le capitalisme – et qui tente d'instaurer la paix sur fond d'injustice sociale. Nous ne croyons pas au pacifisme des hommes d'affaires qui écrasent leurs concurrents, ni à celui des personnes qui ne peuvent même pas vivre en paix avec leur propre femme. Puisque le pacifisme prend tant de formes auxquelles nous ne pouvons pas croire, nous préférons ne pas utiliser du tout le mot pacifisme.
Cependant, nous sommes amis de la paix et voulons contribuer à l'instauration de la paix. Jésus a dit : « Bénis soient les artisans de paix ! » Et si nous voulons vraiment la paix, nous devons la manifester dans tous les domaines de la vie. Nous ne pouvons pas blesser l'amour de quelque manière que ce soit et pour quelque raison que ce soit. Nous ne pouvons donc tuer personne ; nous ne pouvons nuire à personne sur le plan économique ; nous ne pouvons participer à un système qui impose aux travailleurs manuels un niveau de vie inférieur à celui des universitaires.
Nous tenons beaucoup à ce que la proclamation objective du royaume de Dieu ne dégénère pas en une nouvelle orthodoxie théorique. Nous nous intéressons vivement aux mouvements socialistes et pacifistes de notre époque, et nous soutenons la conscience mondiale qu'ils représentent – sans recourir à leurs fausses méthodes. Ce que nous partageons avec eux, c'est simplement l'idée que la communauté de l'avenir se caractérisera par une vie où tous les biens sont partagés librement et avec amour.
IV. Le Christ nous appelle à une vie d'action et non de passivité.
L'exigence très ordinaire que Jésus a adressée à son Église, à savoir maintenir une attitude d'amour et de bonté inconditionnelle, est sujette à toutes sortes de malentendus. Le langage de Dieu souffre de cette fausse traduction. Le pacifisme inefficace et passif du type de celui prôné par Léon Tolstoï en est un exemple. (La situation de Gandhi est différente : dans son cas, la non-violence combinée à la résistance passive est une arme pour la libération de son peuple ; c'est une forme de politique de pouvoir).
Tolstoï commence à juste titre par les ordres de Jésus formulés dans le Sermon sur la montagne, où il nous dit de ne pas résister au mal, de donner notre manteau quand on nous le confisque, de donner deux heures de travail quand on nous en demande une seule, de nous réconcilier avec notre ennemi alors que nous sommes encore en chemin avec lui. Mais Tolstoï comprend que ces mots signifient que nous devons simplement céder, nous soumettre docilement sans avoir clarifié les faits et sans protester contre le mal. Pour lui, le bien signifie simplement se résigner à notre mauvais sort, sans exercer notre libre arbitre. Ainsi, il prône en fait une piété étrangère à notre monde, celle résignée de l'Église établie, qu'il condamne si vivement ailleurs. L'attitude qu'il exige est, en effet, d'une extrême passivité, une sorte de bouddhisme. Bien qu'il parle beaucoup de Jésus, nous devons considérer Tolstoï comme une sorte de moine sectaire.
En revanche, les commandements de Jésus dans le Sermon sur la Montagne ont une signification active, un contenu positif, à savoir que la nature de Dieu en Jésus-Christ et dans son royaume à venir est révélée ici et maintenant dans l'Église. Il s'ensuit que nous ne pouvons céder à aucune action gouvernementale violente. Le règne de Dieu ne cède pas à la force militaire des grandes puissances. Si Jésus a été en fait exécuté, il a montré tout au long du procès qu'il protestait contre cette exécution. Il ne se rend pas passivement et faiblement à l'assassinat judiciaire. Il dit : « Je suis un roi, et vous verrez le Fils de l'homme à la droite du trône de Dieu. Vous devrez reconnaître mon règne, vous qui commettez maintenant l'outrage de me tuer. »
L'attitude de Jésus n'a rien à voir avec une conformité complaisante. Elle répond aux exigences du Sermon sur la Montagne. Cette différence est décisive.
À l'époque de Jésus, comme aujourd'hui, les gens attendaient un nouvel ordre mondial. Ils désiraient ardemment le royaume de justice dont les prophètes avaient parlé. Puis Jésus est venu, et il leur a révélé la nature et les conséquences pratiques de cette justice. Il leur a montré une justice complètement différente de l'ordre moral des gens pieux et des saints – une puissance vivante et croissante qui se conforme aux lois sacrées de la vie. Il ne leur a pas donné d'ordres sur la conduite à suivre, mais a plutôt irradié l'esprit de l'avenir par son caractère même. Ce caractère était l'unité.
C'est pourquoi il est inutile de prendre un commandement de Jésus hors de son contexte et de l'établir comme une loi à part entière. Il n'est pas possible de prendre part au royaume de Dieu sans la pureté du cœur, sans un travail vigoureux pour la paix ; le changement de cœur doit s'étendre à tous les domaines. C'est une folie que d'essayer de suivre le Christ dans une seule sphère de la vie. Les Béatitudes ne peuvent pas être dissociées. Elles commencent et se terminent par la même promesse de posséder le royaume des cieux.
Le peuple des Béatitudes est le peuple de l'amour. Ils vivent à partir du cœur de Dieu et se sentent chez eux en lui. L'Esprit de vie les a libérés de la loi du péché et de la mort ; rien ne peut les séparer de l'amour de Dieu en Jésus. Et ce qui est le plus remarquable et le plus mystérieux en eux, c'est qu'ils perçoivent partout la semence de Dieu. Là où les gens s'effondrent sous la souffrance, là où les cœurs aspirent à l'Esprit, ils entendent ses pas ; là où naît le désir révolutionnaire de justice sociale, là où retentissent les protestations contre la guerre et les effusions de sang, là où les gens sont persécutés à cause de leur socialisme ou de leur pacifisme, là où se trouvent la pureté du cœur et la compassion – là ils perçoivent l'approche du royaume de Dieu et anticipent la béatitude à venir.
V. Aimez vos ennemis – même Hitler.
Rien d'autre ne peut nous être commandé que ce qui nous a été commandé aussi en des temps plus calmes : c'est l'amour parfait.
Nous devons le rappeler à nos amis religieux socialistes et pacifistes : aimez vos ennemis. Ils qualifient Hitler et Mussolini de démons. Je ne trouve pas dans le Nouveau Testament que Jésus ait traité de démon quiconque s'opposait à lui (bien qu'il ait appelé certains enfants des fils du diable) ; et même au sujet de Judas Iscariote, il est seulement dit : "Il avait un démon". Nos ennemis, eux aussi, restent nos frères et sœurs, et les objets de notre amour.
L'amour envers l'ennemi est le véritable amour de Jésus. Jésus dit : « Heureux les artisans de paix. » Si nos amis pacifistes veulent être des artisans de paix, ils doivent vivre dans l'amour, même envers leurs ennemis. S'ils les haïssent, ils sont aussi capables de les tuer : « Quiconque déteste son frère est un meurtrier ! » (1 Jean 3:15).
Nous avons pour mission de représenter l'amour parfait, également auprès de nos ennemis. Ici, il ne peut y avoir ni frontière ni limite ; quel que soit notre ennemi, peu importe à qui nous offrons notre amour. Nous aimons nos ennemis et voulons les aimer de la bonne manière, afin qu'ils trouvent la paix.
Nous savons que nous sommes entourés d'ennemis de la foi chrétienne. En ces temps, le sacrement du pardon est plus que jamais nécessaire, car la haine furieuse de l'ennemi nous met au défi de lui opposer le contraire. Nos ennemis sont ceux-là mêmes que nous devrions aimer en ayant foi en eux et en nous montrant compréhensifs, sachant qu'en dépit de leur aveuglement, ils ont une étincelle divine qui n'attend que d'être allumée.
L'amour pour nos ennemis doit être si réel qu'il atteigne leur cœur. Car c'est ce que fait l'amour. Lorsque cela se produit, nous trouvons l'étincelle cachée de Dieu dans le cœur même du plus grand pécheur. Dans ce sens, nous devons aussi pardonner à nos ennemis, tout comme Jésus a demandé au Père de pardonner aux soldats qui l'ont pendu sur la croix, en s’écriant : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. »
Comment allons-nous mener ce combat ? Dans l'Esprit du royaume à venir, et d’aucune autre manière. Nous devons mener ce combat dans l'amour. L'arme de l'amour est la seule à notre disposition. Et que nous soyons confrontés à un policier à cheval ou à un membre du service du travail du Reich, que nous soyons en contact avec un président de district, un prince, un chef de parti, ou même avec le président du Reich, cela ne fait aucune différence. Nous devons les aimer, et ce n'est que lorsque nous les aimerons vraiment que nous pourrons leur apporter le témoignage de la vérité. C'est pour cela que nous sommes ici.
VI. La voie chrétienne, c'est la vie d'un soldat.
Il y en a qui se méprennent complètement sur Jésus et qui pensent qu'il y avait en lui une sorte de douceur peu virile. Ses propres paroles prouvent que ce n'est pas vrai ; il dit que son chemin nous entrainera dans les batailles les plus dures, non seulement dans des conflits intérieurs désespérés mais même dans la mort physique. Sa propre mort et toute sa conduite le prouvent – entre autres la sûreté et l'intrépidité avec lesquelles il a affronté les puissances du meurtre et du mensonge.
Après que Jésus ait été tué, la petite bande de ses disciples à Jérusalem a proclamé que bien que leur chef ait été honteusement exécuté, il était en effet toujours vivant et demeurait leur espoir et ils avaient foi qu'il apportait le Royaume. L'époque actuelle, disaient-ils, touche à sa fin ; l'humanité était dès lors confrontée au plus grand tournant de son histoire, et Jésus apparaîtrait une seconde fois dans la gloire et l'autorité. La domination de Dieu sur toute la terre sera assurée.
La réalité de ce message dans l'église primitive pouvait se voir au travers du fonctionnement des puissances du futur. Les gens ont été transformés. La force de mourir inhérente au sacrifice de Jésus les a conduits à accepter héroïquement la voie du martyre, et plus encore, elle leur a assuré la victoire sur les puissances démoniaques de la méchanceté et de la maladie. Celui qui ressuscita par l'Esprit avait une force qui a explosé dans une attitude totalement nouvelle face à la vie : l'amour envers les frères et sœurs et l'amour de son ennemi, la justice divine du royaume à venir. Grâce à cet Esprit, la propriété a été abolie dans l'Église primitive. Les biens matériels ont été remis aux ambassadeurs des pauvres de l'Église. Par la présence et la puissance de l'Esprit et par la foi dans le Messie, cette bande de disciples est devenue une fraternité.
Dans la certitude de leur victoire, les chrétiens réunis pour la Cène ont perçu la question alarmante de Satan et de la mort : « Qui est celui qui nous vole notre pouvoir ? » Ils répondirent en exultant : « Voici le Christ, le crucifié ! » Lorsque la mort du Christ est proclamée lors de ce repas, cela signifie que sa résurrection est concrétisée et que la vie est transformée. Sa puissance victorieuse est consommée dans sa souffrance et sa mort, dans sa résurrection de la mort et son ascension sur le trône, et dans sa seconde venue. Car ce que le Christ a fait, il le fait encore et encore dans son Église. Sa victoire est parfaite. Terrifié, le Diable doit abandonner ce qui lui appartenait. Le dragon à sept têtes est tué et le venin maléfique est éradiqué.
Les épreuves de tous les héros grecs ne peuvent égaler l'intensité de cette bataille spirituelle. En ne faisant plus qu'un avec le Christ triomphant, la vie chrétienne primitive est devenue une vie de soldat, sûre de la victoire sur le plus grand ennemi dans la lutte acharnée contre les puissances obscures de ce monde. Chaque fois que les croyants trouvaient l'unité dans leurs réunions, en particulier lorsqu'ils célébraient le baptême, la Cène et le « Repas d'amour » (Agapè), la puissance de la présence du Christ était incontestable. Les corps malades étaient guéris, les démons chassés, les péchés pardonnés. Les gens assurés de la vie et de la résurrection, parce qu'ils étaient libérés de tous leurs fardeaux et s’étaient détournés de leurs torts passés.
Le baptême et la confession de foi que les baptisés professaient étaient le « symbole» – le « serment militaire » – par lequel de plus en plus de soldats de l'Esprit prêtaient serment. Ce « mystère » les liait au service du Christ et à la simplicité de ses œuvres divines.
Il est probablement impossible de visualiser le sérieux avec lequel les premiers chrétiens ont pris le service héroïque de l'Esprit. L'équipement militaire accordé par l'Esprit était une réalité vivante, et non une simple métaphore. Les deux principes de base de la vie militaire – le droit à la solde militaire et l'interdiction de toute implication économique et politique – caractérisaient avec justesse la mission de Jésus auprès de ses apôtres. Il a souligné leur droit, en tant que soldats du Christ, de recevoir des provisions pour effectuer leur service (bien qu'ils restent pauvres par principe) et leur a ordonné de s'abstenir de toute entreprise commerciale et de l'accumulation de richesses et de biens. La règle de foi engageait tous les chrétiens à être des soldats apostoliques et prophétiques de l'Esprit. Les non-chrétiens étaient donc appelés « civils » ou paganis, d'où le mot « païens ».
Jésus avait prédit que boire sa coupe signifierait être baptisé dans ce bain de sang. À plusieurs reprises, l'Église s'est rassemblée autour des martyrs comme pour une Cène célébrée dans le sang.
À chaque fois, le spectacle répugnant de l'exécution devenait la victoire solennelle du Christ sur la domination de Satan, la certitude de la résurrection du Seigneur – cet événement qui garantissait pour toujours la domination du vainqueur mourant.
VII. Nous n'avons qu'une seule tâche dans ce monde : incarner le corps du Christ.
Seules quelques personnes de nos jours saisissent ce réalisme des premiers chrétiens. Et c'est justement dans ce sens très réaliste que le Verbe, qui est le Christ, veut trouver un corps dans l'Église. Quand on se contente de simples mots sur la future venue de Dieu, ils entrent dans l'oreille des gens et ressortent par l'autre. C'est pourquoi une réalité vivante est nécessaire. Quelque chose doit être mis en place, créé et formé, de sorte que personne ne puisse passer à côté ; c'est l'incarnation, la corporéité.
« Le Christ en vous » est la première partie de ce mystère. Comme le Christ était en Marie, le Christ est en nous qui croyons et aimons. Ainsi, nous vivons en accord avec l'avenir ; le caractère de notre conduite est le caractère de l'avenir de Dieu.
La vie de Jésus n'a rien à voir avec le fait de tuer et de blesser les autres, elle n'a rien à voir avec contrevérités et impureté, et elle n'a rien à voir avec l'influence de mammon ou de la propriété. Jésus est allé encore plus loin : il a vaincu cette puissance hostile sur son terrain. Sa mort a fait voler en éclats toutes les armes de l'ennemi. Mais il a fait plus encore. Il a fait descendre le royaume de Dieu sur la terre, il a réveillé le corps et l'âme de la mort, il est lui-même ressuscité en tant que Vivant, et par son Esprit, il a posé les fondations du royaume final – un royaume d'unité complète pour tout ce qui est dans les cieux et sur la terre. Il a brisé les barrières entre les nations et a créé l'unité du corps de son église comme sa seconde incarnation. Cette nouvelle unité et cette nouvelle réalité corporelle de Jésus vivent ici sur terre au sein de la race humaine.
Rien ici de moraliste ni de légaliste ; c'est quelque chose de très simple et naturel. Cette unité se manifeste désormais par le Christ dans l'Église, par laquelle le futur royaume prend une forme physique. C'est pourquoi l'Église doit faire preuve d'une paix et d'une justice parfaites. C'est pourquoi elle ne peut pas verser de sang ni tolérer la propriété privée, ne peut pas mentir ni prêter serment, ne peut pas tolérer de voir détruire la pureté nuptiale ou la fidélité conjugale.
L'apôtre Paul dit que nous sommes les ambassadeurs du royaume de Dieu (2 Cor. 5:20). Et le royaume de Dieu n'est représenté par aucun état de ce monde, mais par l'Eglise. Cela signifie que nous ne devons rien faire d'autre que ce que Dieu lui-même ferait pour son royaume. Tout comme l'ambassadeur britannique à Berlin ne fait rien d'autre que la volonté de ses supérieurs à Londres, nous devons nous aussi faire la volonté de Dieu seul. Nous ne sommes plus soumis aux lois de ce monde ; les terrains de notre ambassade sont inviolables, tout comme, dans la résidence d'un ambassadeur, seules les lois du pays qu'il représente sont valables.
La volonté de Dieu est de réconcilier et d'unir. Notre tâche est donc aussi de réconcilier et d'unir. Nous n'avons pas d'autre mission dans ce monde.
Ces lectures sont adaptées des écrits rassemblés dans les livres d'Eberhard Arnold, notamment La révolution de Dieu (Plough, 2017) et Sel et lumière (Plough, 2017).