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Militant pour la paix
Eberhard Arnold et la non-violence chrétienne
par Stanley Hauerwas
jeudi, le 26 septembre 2024
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Le pacifisme est irréaliste – à moins qu’il ne soit conforme au Christ, écrit le « meilleur théologien d’Amérique » (Time) en présentant le livre La révolution de Dieu d’Eberhard Arnold.
« La douleur c'est la charrue qui déchire nos cœurs pour nous ouvrir à la vérité. Sans la souffrance, nous ne reconnaîtrions jamais notre culpabilité, notre impiété et l'injustice criante de la condition humaine ». C'est une affirmation que je préférerais ne pas entendre, mais à laquelle je ne peux qu'acquiescer. Faire face à des vérités qu'on préférerait ne pas reconnaître vous met dans une position étrange. C'est dans cette position, je pense, que vont se retrouver de nombreux lecteurs de La Révolution de Dieu d'Eberhard Arnold.
Commencer par annoncer qu'un livre risque de remettre en question la façon dont les lecteurs en viennent à se percevoir eux-mêmes ainsi que leur monde peut sembler une stratégie douteuse, si l’on veut rencontrer un large public. Pourtant, je tiens à ce que ce livre soit lu par beaucoup de gens , en particulier ceux qui n'ont jamais entendu parler d'Eberhard Arnold (1883-1935).
Je veux qu'il ait du succès parce que j'approuve ce qu'il dit sur l'identité d'un chrétien. Mais avant tout, je veux qu'on le lise parce que la vérité est la vérité. C'est pourquoi je vais reprendre ici certaines des idées d'Arnold pour inciter les lecteurs à se laisser transformer le cœur.
Pour beaucoup, ce sera difficile car Arnold, aussi pacifiste soit-il, ne fait pas de prisonniers. Son église a peu de choses en commun avec le christianisme accommodant qui domine notre culture. En lisant, vous vous direz : « Je n'ai jamais vu une église comme celle qu'il décrit ». C'est exactement ce que je veux dire. Arnold est déterminé à nous aider à comprendre cette vision de l'église de Dieu, car il est certain qu'elle est vraie : une église comme en n'en voit plus autour de nous. Arnold nous aide à voir parce qu'il sait écrire. Son écriture marque nos âmes au fer rouge et nous donne un regard neuf sur le sens de l'expression « suivre Jésus ».
Car au cœur du récit d'Arnold sur ce que nous sommes, se trouve Jésus, le Juif de Palestine, et tout ce que sa croix a rendu possible. C'est ce Jésus qui nous enseigne la relation intrinsèque entre meurtre et mort. C'est ce Jésus qui nous enseigne une façon de vivre avec autrui que nous pourrions à juste titre appeler Église.
Le récit d'Arnold sur la définition d'être un chrétien peut sembler trop radical et irréaliste pour beaucoup. S'ils admirent sa vision, ils ne sont toutefois pas encore disposés à apprendre à vivre sans biens, par exemple. Arnold admet cependant qu'on n'y arrive pas tout seul. Héros en herbe s'abstenir ! En effet, la fidélité prêchée par Arnold s'applique à l'humble quotidien.
Prenons garde d’oublier, en outre, que le cœur de la compréhension d'Arnold de l'église est le Saint-Esprit. On dit souvent que la théologie moderne ignore le Saint-Esprit. Ce n'est certainement pas vrai de ce qu'Arnold comprend de la façon dont l'Esprit rend l'église possible. Tout ce qu'il a à dire dépend de l'action de l'Esprit. Nous serions possédés par nos biens si nous n'étions pas possédés par le Saint-Esprit.
Par le baptême et l'Eucharistie, l'Esprit nous pousse à adopter un mode de vie particulier qui permet à des ennemis de se réconcilier. Cette réconciliation est possible parce que l'Église est une communauté de pécheurs pardonnés. Ainsi constituée, l'église devient une alternative au monde. D'où la merveilleuse remarque d'Arnold : « La seule façon dont le monde reconnaîtra la mission de Jésus c'est par l'unité de son église » .
L'unité créée par l'Esprit vient de l'amour qui se manifeste dans l'amour du Père pour le Fils et dans l'amour du Fils pour le Père. La réalité communautaire que cet amour crée s’appelle le royaume de Dieu. La langue du Royaume montre clairement que le témoignage de l'Église au monde est fondamentalement politique. Le Royaume est un foyer qui, comme tout foyer, nécessite des soins quotidiens. Être chrétien, c'est apprendre à partager une vie commune.
Certes, c'est une simplification, mais je pense que dans l'une de ses nombreuses plaisanteries, c'est Arnold qui nous aide le mieux à voir ce qui fait de nous des chrétiens. C'est très simple : être chrétien, c'est recevoir une mission. Lorsqu'on est baptisé, on devient les citoyens d'un pays où l'on nous donne à faire du bon travail. Ce travail nous évite de nous regarder le nombril, nous aide ainsi à reconnaître la valeur d'autrui. Cette reconnaissance s'appelle l'amour, et à juste titre.
Arnold ne balaie pas d'un revers de main les conceptions du salut qui soulignent l'importance de l'expérience individuelle, mais il se montre peu réceptif aux formes piétistes ou sentimentales de la foi. Il reconnaît que la piété personnelle s'est beaucoup répandue chez les chrétiens comme marqueur de leur relation avec Dieu. Il juge que ce n'est pas une mauvaise chose tant que « l'expérience religieuse personnelle » ouvre la personne à une croissance qui la conduit à servir dans et pour le monde. Mais il insiste : le sens de la croix du Christ ne peut se restreindre à l'expérience subjective de l'individu. Lorsqu'on prend le salut pour une expérience individuelle, on risque de faire l'impasse sur l'obligation chrétienne de rechercher la justice.
Arnold conteste ceux qui pensent que le type de communauté qu'il décrit ne peut que se retirer hors du monde. Au contraire, cette sorte de communauté envoie constamment des gens dans le monde. Ceux qui sont envoyés ne se contenteront pas d'oeuvrer pour la justice : ils transformeront aussi le concept même de justice. En particulier, ils contesteront le postulat voulant que le seul moyen d'obtenir la justice dans un monde de violence passe par la contrainte. Pour ceux qui vénèrent un Sauveur crucifié, il est tout simplement contradictoire de penser que la violence du monde peut être utilisée pour obtenir le bien. Arnold pose cette question rhétorique : comment des gens issus d'un havre de paix peuvent-ils agir dans le monde différemment de la communauté qui les a envoyés ?
Arnold est un pacifiste, mais son pacifisme est l'expression de sa compréhension des conditions nécessaires à une vie pacifique en commun. Arnold soutient qu'un tel mode de vie commune implique une critique profonde du capitalisme. Du point de vue d'Arnold, le capitalisme est un système économique qui garantit que la propriété privée est incontournable. Toute tentative d'instaurer la justice dans un tel système est vouée à l'échec, dans la mesure où elle ne touche pas à ce présupposé : ce que nous possédons nous appartient.
Si les membres de l'Église s'interdisent de posséder des biens, ils doivent apprendre le partage au quotidien. Mettre l'argent en commun devient non seulement possible, mais surtout indispensable. Puisqu'un membre de la communauté n'a pas de ressources dont il puisse disposer à sa guise, discerner l'authenticité de sa vocation ne peut se faire que par la communauté elle-même. Puisqu'aucun membre ne possède de biens, il est indispensable de négocier à chaque instant au sein de la communauté et le conflit est évidemment inévitable. Il est intéressant de souligner qu'Arnold a une vision profondément démocratique de la communauté, car le membre le plus faible doit être entendu.
Le récit d'Arnold sur l'Église est étonnamment original, mais qu'on prenne garde de penser que ces idées seraient originales pour lui. Sa compréhension de la relation entre l'église et le monde est plus proche de l'anabaptisme que de toutes les autres alternatives issues de la Réforme. Mais on retrouve également une sensibilité catholique indéniable dans sa compréhension du sens des pratiques ecclésiales. S'il insiste sur le caractère volontaire de l'appartenance à l'église, son récit semble très éloigné du protestantisme traditionnel.
Si je devais identifier la tradition qu'Arnold représente au plus près, je dirais que la meilleure façon de comprendre sa communauté c'est de la considérer comme une forme de monachisme regroupant des gens mariés. Le monachisme a toujours été à l'avant-garde de la révolution de Dieu. Il n'est donc pas surprenant que le récit d'Arnold sur le mariage remette en question les représentations romantiques qui rendent actuellement le mariage si problématique. Arnold accorde une énorme attention au mariage et au rôle des enfants. Cela montre à quel point il les considère comme importants pour la formation des chrétiens.
Si certains lecteur d'Arnold pourraient conclure qu'il prône le retrait du monde, ce n'est pas sans raison. S'il écarte la distinction entre nature et grâce, si chère aux catholiques, ainsi que le dualisme luthérien classique entre les ordres de la création et de la rédemption, son dualisme de base tient à celui entre l'église et le monde. Selon lui, les chrétiens doivent reconnaître que Dieu a donné à l'État « l'épée temporelle », mais cela signifie que les fonctions de l'État sont des tâches auxquelles les chrétiens ne sont pas appelés. L'État possède l'épée de la colère, mais l'Église et les chrétiens ne peuvent pas la brandir. Celui qui est exécuté sur la croix n'exécute personne. Il en va de même de ceux qui se prétendent être ses disciple.
Le désaveu de la violence peut sembler une mauvaise nouvelle pour ceux qui tiennent à ce que les chrétiens luttent en faveur de la justice pour les opprimés, mais la compréhension qu'a Arnold de l'Église fait de cette critique un faux débat. Il insiste : les chrétiens doivent s'engager socialement en faveur de sociétés plus justes. Or, cela implique de trouver des alternatives imaginatives tirées des pratiques de l'église. Par exemple, les membres de sa communauté n'ont pas seulement cherché à défendre ceux qui souffrent de négligence ; ils ont cherché à vivre avec ceux qui en souffrent afin de partager leur souffrance. Comme les Amish, qui vont vivre avec les victimes d'un drame, Arnold voudrait voir l'église envoyer des membres pour incarner d'abord et avant tout une présence auprès de ceux qui souffrent, pour partager leurs souffrances.
Arnold appelle un tel travail pour la justice « un petit travail », par rapport à la souffrance qui ravage le monde. Notre Le travail est peut-être petit, mais c'est ce qu'il nous a été donné de faire. Comme il le dit : « Nous croyons en une chrétienté qui fait quelque chose. » Quelle perspicacité extraordinaire - être chrétien, c'est être dans une communauté qui vous donne quelque chose à faire. Nous sommes sauvés par les petites tâches qui rendent la vie des autres plus supportable. Ainsi, l'observation d'Arnold selon laquelle le travail quotidien avec les autres est le moyen le plus rapide de savoir si quelqu'un est prêt à vivre en communauté sur la base d'un amour et d'une foi authentiques.
Ce n'est pas n'importe quel travail qu'Arnold recommande – c'est un travail physique. Nous devrions être prêts à passer plusieurs heures par jour à travailler de nos mains, physiquement. Ayant moi-même commencé comme maçon, je sais bien apprécier ce qu'Arnold recommande. Ceux qui travaillent avec leurs mains n'ont pas le loisir de se regarder le nombril, ce qui leur permet de voir leur voisin. Un voisin peut dissimuler Jésus sous une autre apparence.
J'espère vous avoir incité à lire ce livre. C'est un bel ouvrage, et sa beauté peut parfois nous blesser. Mais si nous sommes blessés de la sorte, il peut s'agir, comme Arnold nous aide à le comprendre, de ce que Dieu nous a donné pour nous sauver.
Traduit de l'anglais par Dominique Macabie.